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Démocratie congolaise 33 ans après, le regard critique du professeur Jacques Djoli

Le 24 avril 2023, les Congolais se sont souvenus du discours historique prononcé, il y a 33 ans, par feu maréchal Mobutu et dans lequel il annonçait la fin du monopartisme et l’ouverture du pays au multipartisme.

Jacques Djoli Eseng’Ekeli est député national élu sur la liste MLC, mais aussi professeur de droit constitutionnel à l’université de Kinshasa @Photo Droits tiers.

publié le 28 avril 2023 à 05:44:00

Dans une interview accordée à Ouragan.cd, l’acteur politique et professeur de droit constitutionnel, Jacques Djoli Eseng’Ekeli dresse non seulement le bilan à mi-parcours du processus démocratique congolais, marqué par l’organisation de trois cycles électoraux depuis 2006, mais cette éminente personnalité scientifique énonce également les facteurs susceptibles de faire de la République démocratique du Congo, un véritable État de droit au cœur de l’Afrique, au même titre que d’autres pays africains comme l’Afrique du Sud, le Ghana et le Botswana.

Quel bilan dressez-vous du processus démocratique en RDC, 33 ans après le discours historique du maréchal Mobutu ?

Professeur Jacques Djoli : En termes de bilan, il faut d’abord souligner la volonté inébranlable du peuple congolais d’instaurer la démocratie en RDC. On a connu des moments forts de résistance, de combat, de toute la société congolaise, pour que monsieur Mobutu puisse reconnaître le droit des Congolais à être dirigés démocratiquement. Et ça a été proclamé officiellement, solennellement le 24 avril 1990. Depuis lors, l’évolution donne parfois des signaux positifs, mais aussi des inquiétudes et des signaux négatifs.

Au plan positif, on peut dire que, depuis la proclamation de ce choix démocratique, nous sommes passés par des périodes de conflit, de conférence nationale et d’autres qui ont pu nous amener même à des guerres, pour combattre cette dictature. Et finalement, nous allons avoir notre première Constitution de type démocratique, post-indépendance, le 16 février 2006. Mais nous avons passé une très longue période de transition, plus de 14 ans, dans des discussions, d’abord de violences, puis avec le premier cycle électoral qui va assoir l’ordre politique démocratique à partir de 2006. Actuellement, nous tendons vers le 4e cycle électoral. Ce qui démontre déjà cette volonté d’assoir l’accès au pouvoir par des élections durant quatre cycles. Bien sûr, on a eu ce qu’on a appelé, une première alternance pacifique au sommet de l’État en 2018.

N’est-ce pas que ce processus électoral est marqué, jusqu’à ce jour, par la tenue des élections pas très démocratiques ?

Si nous observons la scène politique de l’Afrique centrale, nous devons reconnaître que la RDC est un État qui tente d’instaurer la démocratie, par voie des élections. Donc, nous avons organisé les élections, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Vous savez, tout autour de nous, il y a des pouvoirs qui ont fait 32 ans, qui ont fait 40 ans, qui ont des élections à un seul candidat qui a obtenu 98% (c’est le cas du Rwanda, de l’Ouganda et d’autres pays).

Ce qui est surtout important pour moi, c’est la volonté du peuple congolais, quelques soient les difficultés, d’aller vers un État démocratique, où l’on voit, tout au long de ces cycles électoraux, parfois difficiles, le peuple vient toujours se faire enrôler, avoir sa carte d’électeur et être déterminé à assoir cette démocratie. La démocratie est une conquête permanente, c’est une expérience ; ce n’est pas un évènement.

Et au-delà des avancées que vous venez de relever, quels sont alors, selon vous, les points faibles du processus démocratique en RDC ?

Le premier élément négatif, c’est le nombre de partis politiques : 1 000 partis politiques, pratiquement, ça peut être un signal de la vitalité démocratique, mais ça peut être le fait de l’obscurantisme politique. Malheureusement, ces multiples partis politiques ne sont pas des lieux d’épanouissement de démocratie, mais plutôt des lieux de culture autocratique et népotique du pouvoir.

Ce qui m’amène à dire que, en fait, les textes veulent que nous puissions assoir une démocratie. Il en est de même du peuple qui, dans sa pensée profonde, veut la démocratie, mais il y a encore une forte culture anti-démocratique, une culture tribale, une culture autocratique, une conception du pouvoir qui n’est pas démocratique, de sorte qu’on ne voit pas des signaux de transformation positive d’un État démocratique.

Mais, c’est un effort transformationnel de conversion collective qui doit être mené et que, pour le moment, le 4e cycle électoral en cours risque d’être aussi un cycle difficile, comme quelqu’un a dit, glissocratique, c’est-à-dire, ne pas respecter le temps prévu par la Constitution, sortir de la Constitution pour trouver encore, ce qu’on a appelé, des accords. En termes simples, chaque fois, au lieu d’appliquer les textes, nous sortons de textes, nous faisons des accords, nous faisons le partage du pouvoir. Donc, en résumé : la scène politique congolaise est tiraillée entre une volonté populaire d’assoir un État de droit démocratique et une culture, à travers les partis politiques, qui tend vers une autocratie, une culture de conservation atavique du pouvoir et de banalisation de la culture démocratique, avec des élections plus ou moins contestées et contestables.

33 ans après, peut-on dire que ce processus démocratique a produit une gouvernance étatique à même d’assurer le bonheur et le bien-être du peuple congolais ?

Le bonheur est une notion très relative. Est-ce que 33 ans, c’est suffisant pour apporter le bonheur par la démocratie ? Je suis tenté de répondre par l’affirmatif, lorsqu’on voit des pays comme l’Afrique du Sud, qui n’a pas attendu cinq ans pour assoir une démocratie. Mais il faut savoir que la démocratie est une démarche qui n’est pas simplement juridique, mais elle est aussi anthropologique et sociologique.

La question qu’il faut se poser est la suivante : est-ce que l’acteur politique congolais, le politique congolais s’est converti aux valeurs d’un État de droit démocratique, c’est-à-dire, un État qui croit que c’est le peuple qui doit désigner les gouvernants et qu’on ne doit pas tout simplement être issu du peuple, mais la gouvernance globale du pays doit être orientée vers le bonheur du peuple. Et là, le combat est encore à mener en République démocratique du Congo !

Et que faut-il faire pour que le peuple congolais se retrouve dans la gouvernance d’un État qui se veut démocratique ?

En fait, les dérives ou les incohérences et irrationalités de nos partis politiques sont l’épicentre, n’est-ce pas, révélatrices de notre difficulté d’avoir une démocratie crédible. Les 1000 et autres partis politiques sont des partis atomistiques, c’est-à-dire les partis personnels, appartenant à leur autorité morale ou, à la rigueur, à leur famille. Ce sont des partis politiques sans idéologie, sans projet, dont la seule finalité est la conquête personnelle et l’enrichissement de leur dirigeant. C’est ça le point désarticulant et déstructurant de notre démocratie. Faut-il, pour cela, se décourager ? Non, parce que le vrai problème de la démocratie, c’est la pensée, c’est l’idéal qui doit animer le citoyen.

Il faut savoir que la démocratie, c’est une manière de vivre, au cœur de laquelle l’homme, dans la légalité et dans la liberté, va s’épanouir. C’est là notre grande difficulté. Notre démocratie est dévitalisée, parce qu’elle n’a pas une pensée, pas simplement des acteurs ou des gouvernants, mais aussi la population, qui devait en principe être aidée par les partis politiques pour avoir la conscience démocratique, mais qui subit, malheureusement, le phénomène d’alignement tribal, zoologique.

En effet, lorsqu’on voit les résultats des élections, ils traduisent plutôt un ancrage tribal, clanique, des choix qui ne sont pas dictés par un projet de société digne. La qualité de notre démocratie est faible, nous devons y travailler notamment en ayant des partis politiques dignes de ce nom.

Feu président Mobutu avait-il raison de préconiser, dans son mémorable discours du 24 avril 1990, un multipartisme limité à trois partis, un peu comme aux USA, qui n’ont que deux partis ?

Aux États-Unis, il n’y a que deux partis politiques, qui traduisent d’abord la culture politique américaine. Mais chez nous, les partis politiques sont les réceptacles des tribus, des ethnies et de leurs personnes. On ne peut pas condamner les tribus, mais il faut que la culture tribalo-centrique disparaisse pour donner naissance à une vitalité idéologique et autour de la centralité démocratique.

Comment alors consolider la démocratie en RDC, 33 ans après la mise en branle du processus démocratique en cours ?

Il y a un État, le Haïti, qui est né même avant les États-Unis d’Amérique, un État qui, malgré des centaines d’années d’existence, n’est toujours pas un État démocratique. La situation de Haïti n’est pas différente de celle de Ngaba, de Kinshasa ou d’autres pays sous-développés. La question de la démocratie est un saut qualitatif, volontariste d’une élite qui adhère à ce logiciel. Je ne vais aller loin. Vous prenez l’exemple d’un pays comme le Ghana où ils ont accepté la démocratie comme modèle organisationnel. C’est également le cas de l’Afrique du Sud, qui est sortie de l’Apartheid bien après que nous ayons lancé notre processus démocratique en 1994. Ils ont eu une élite, avec en tête un certain Nelson Mandela, qui a fait cinq ans. Et depuis lors, la démocratie sud-africaine se consolide. Il en est de même du Botswana, qui est également un modèle démocratique.

Il faut que, ce qu’on appelle la classe politique congolaise, ce n’est pas une crasse politique, puisse comprendre que le choix démocratique est un choix de pensée, c’est un choix de conversion aux valeurs, aux principes (l’égalité de tous, l’alternance, le pouvoir issu du peuple, les pouvoirs séparés, les pouvoirs équilibrés), qui sont des valeurs spirituelles pour lesquelles on adhère. On ne peut pas aller en démocratie en ayant une pensée autocratique. On ne crée pas un parti politique pour que ça soit un parti personnel, de type manducratique, juste pour se partager le pouvoir avec ses amis et ses parents, mais ça doit être plutôt un outil de transformation sociétale. Et là, nous sommes encore, 60 ans après, à la recherche de cette classe politique, de cette population qui croit aux valeurs et aux principes d’un État démocratique.

Nous sommes sur le chemin peut-être, mais il ne faut pas construire une démocrature à la place d’une démocratie.

Propos recueillis par JR Mokolo

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