Dans un entretien exclusif à Ouragan, le pasteur Silas Makangu Mimile, l’une des figures emblématiques de la prédication congolaise, éclaire le rôle fondamental de l’Église face à la guerre. Trois missions essentielles émergent : consoler les victimes, mobiliser pour le dialogue et prier pour la nation.
D’abord, l’Église se doit d’être un refuge, une source de réconfort pour ceux qui souffrent. Ensuite, elle doit rassembler et appeler à l’unité, incitant chaque acteur à rechercher des solutions pacifiques. Enfin, elle porte la nation dans la prière, invoquant la paix pour les victimes, les militaires et les dirigeants. Devant la guerre, l’Église ne peut rester spectatrice. Elle est un phare dans la tempête, une voix qui éclaire un chemin vers la paix.
Ouragan : Quelle est, selon vous, la responsabilité de l’Église dans la crise qui se vit actuellement dans l’est de la RDC ?
Silas Makangu : La responsabilité de l’Église pendant que le pays est en crise, est triple. La première consiste à venir en aide au moyen de la consolation et du réconfort aux victimes des affres de la guerre. Pendant les affrontements militaires, il y a des familles éplorées, d’autres divisées et il y a des viols qui sont perpétrés, des massacres et des morts. Donc, les victimes ont, avant tout, besoin de compassion dans leur malheur. L’Église a pour première vocation de venir en aide. Le deuxième rôle que l’Église doit assurer, c’est celui de moralisateur. Pendant ce temps de crise, l’Église doit appeler les uns et les autres à pouvoir trouver des solutions à l’amiable autour des questions qui divisent. Le recours à la force n’est pas toujours l’approche appropriée, ni une approche qui assure une voie de sortie plausible. Le troisième rôle de l’Église est aussi celui de prier. Prier non seulement en faveur des victimes de familles éprouvées, des militaires. Mais aussi prier pour les dirigeants, parce qu’à chaque fois qu’il y a un conflit armé, c’est la preuve que quelque chose n’a pas trouvé des solutions à l’amiable. C’est aussi la preuve que quelque part il y a un partenaire qui a déplacé la borne de l’autre ou qui a empiété sur les intérêts de l’autre et l’Église a pour rôle de prier pour que les dirigeants soient comme Salomon qui a, en son temps, demandé à Dieu la sagesse et pendant 40 ans de son règne, Israël n’a point connu de guerre. Il y a un général chinois qui, au IVème siècle, a écrit un livre célèbre intitulé : « l’art de la guerre ». Il a dit dans son livre que la meilleure façon de gagner une guerre, c’est de la remporter sans jamais la livrer. C’est-à-dire être capable de mener une politique qui pousse à désarmer l’ennemi avant qu’il ne vous déclare la guerre. Salomon a régné sur Israël pendant 40 ans et n’a point connu de guerre. Le rôle de l’Église n’est pas seulement d’encourager, mais aussi de prier pour que les autorités aient cette sagesse là. Parce que les mauvaises politiques conduisent toujours à la guerre. On peut tout dire, on a le devoir de prier pour ceux qui nous dirigent pour qu’ils aient de la sagesse. Il faut prier pour la nation et encourager les enfants de Dieu à intégrer l’armée si possible.
La communauté internationale et les Églises catholique et protestante encouragent un dialogue avec toutes les parties, y compris les groupes armés. Pensez-vous que cette voie soit politiquement acceptable pour restaurer une paix durable ?
Politiquement, je pense que cette approche doit être encouragée pour trois raisons. Premièrement parce que les négociations constituent l’une des voies de sortie pour mettre fin à une crise. Soit on la termine par des voies militaires, soit on la finit par des voies de négociations ou par la diplomatie. Il ne faut pas dramatiser, moins encore diaboliser. Ce n’est pas un aveu d’échec, moins encore une faiblesse. Jésus-Christ l’a dit dans Luc 14. « Si un roi veut aller en guerre contre un autre roi, il s’assoit pour comptabiliser son armée, s’il se rend compte que ses troupes sont inférieures à celles de son adversaire, il envoie un émissaire pour négocier la paix parce qu’un bon dirigeant ne doit pas envoyer des gens mourir comme de chairs à canon ou dans un abattoir. La guerre doit être livrée oui. Mais s’il faut l’éviter, il faudrait l’éviter parce qu’une guerre, on sait quand elle commence, mais pas quand elle finit. L’approche que les prêtres catholiques et les pasteurs de l’ECC ont prise, est un acte louable et audacieux. Ils ont pris le courage de se lever. Si j’avais le même courage, j’aurais aussi pris la même initiative pour essayer de voir dans quelle mesure du possible faire l’arbitrage. La deuxième raison qui me pousse à adhérer à cette vision, c’est parce qu’au regard de la débâcle de Goma, le dispositif militaire qu’il y a entraîné la chute de cette ville, les FARDC et leur comportement, ont prouvé à la face du monde que notre armée est une armée à réformer en tout. C’est difficile à l’heure actuelle de pouvoir parier et miser sur une telle armée qui a besoin d’être réformée tant au niveau de la moralité des soldats, qu’au niveau du commandement, même au niveau de la logistique et de la politique. Je pense que l’approche de la négociation à ce stade ici doit être encouragée. Mais il se fait que nous avons deux processus que la communauté internationale nous a proposés. Il y a d’une part le processus de Luanda qui est un processus de négociation entre la RDC et le Rwanda et d’autre part le processus de Nairobi où le Congo est appelé à négocier ou prendre langue avec tous les 214 groupes armés parmi lesquels le M23. Aujourd’hui, le M23 contrôle quelques villes très importantes, donc il n’accepterait jamais de s’asseoir à côté des ADF, des Codeco, des Mobondo,… » D’où à mon humble avis en tant qu’homme de Dieu, la voie de la négociation doit être privilégiée. En dépit des prouesses diplomatiques récoltées, partout où nous sommes allés, la communauté internationale nous renvoie à la table des négociations. Pour bien négocier, pour un État qui se respecte, il faudrait qu’à l’issue des négociations, les conclusions soient applicables pendant un long moment. Pour sécuriser les résolutions, il faudrait se poser trois questions : avec qui allons-nous négocier ? Qu’est-ce qui motive l’agressivité de l’ennemi ? Parce que l’ennemi peut évoquer plusieurs prétextes, mais c’est à l’État de sonder les véritables raisons. Parce que demain, il sera dans l’obligation de revenir revendiquer ses droits. Qu’est-ce qu’on va céder et qu’est-ce qu’on ne va pas céder ? Tout ça, nous avons besoin de le faire. Je suis stupéfait qu’une frange de l’opposition veuille qu’on fasse la guerre. Négocier n’est pas une mauvaise chose. En quittant l’Afghanistan, les États-Unis ont négocié avec les talibans qui étaient leurs ennemis, Israël négocie avec le Hamas, Poutine pourrait négocier avec Zelensky. Négocier, c’est aussi dire arrêtons l’hémorragie, dire que la guerre nous coûte tous.
Comment l’Église peut-elle concilier la nécessité de la justice pour les victimes des crimes commis dans l’est du pays avec l’appel au dialogue ou au pardon ?
L’appel au dialogue n’est pas forcément un appel au pardon. Pour l’Église, la justice est le socle de toute chose. Mais qui dit justice ne signifie pas aussi effacement des crimes. A moins que nous même nous puissions faire comme l’Afrique du Sud à la sortie de l’apartheid. Mais pour des besoins pédagogiques et d’exemplarité, l’État doit prendre certaines mesures pour dissuader les personnes qui voudront demain prendre les armes contre le pays. L’Eglise ne peut qu’encourager le recours à la justice. Justice signifie aussi que la méchanceté de l’autre a été provoquée par mon erreur. Dans la justice, on punit celui qui a tué, on punit aussi celui qui a provoqué le tueur. Il faudra éviter de faire de ce moment de dialogue une blanchisserie des crimes.
Face aux tensions politiques internes où les acteurs se rejettent mutuellement la responsabilité de la crise, comment éviter que l’Église ne soit instrumentalisée par les ambitions des uns et des autres ?
Écoutez, l’Église n’a pas besoin d’être instrumentalisée, moins encore d’être caporalisée. Le rôle de l’Église est de rester aux côtés de la vérité, aux côtés des faibles, c’est ça sa mission. Si l’Église doit prendre position, ça ne devrait pas être en faveur d’un camp contre un autre. L’Église doit jouer son rôle d’arbitrage moral et spirituel. Elle doit être impartiale, se battre et encourager les enfants de Dieu à se tenir debout pour défendre leur territoire comme il se doit, en intégrant l’armée. Chaque enfant de Dieu, peu importe son domaine, doit user de son temps, son intelligence et son talent pour défendre la patrie, sans être dans un quelconque camp politique. La nation demeure, et les politiciens passent. En ce temps, l’Église doit être au milieu du village pour ne pas être la cible des acteurs politiques.
Quel message adressez-vous aux fidèles congolais qui souffrent des violences et aux dirigeants politiques et militaires qui ont le pouvoir d’agir pour mettre fin à cette guerre ?
Aujourd’hui, on a plus de huit millions de déplacés internes. C’est énorme. Lors de ma visite dans un camp de déplacés, je n’ai pas pu faire trente minutes parce c’était horrible ce que j’avais vu. Ils sont nombreux et ont besoin de soutien. Pas seulement le soutien spirituel, mais aussi moral et matériel si possible, parce qu’ il y a de ceux-là quand vous regardez l’état de santé et la quantité de nourriture que leur offre le HCR, c’est vraiment déplorable. C’est-à-dire que ce sont des gens qui, moralement, sont déjà morts, en d’autres termes, ce sont presque des morts-vivants. Il faudra les aider à réintégrer la société. À nos militaires, nous les encourageons et leur disons que servir dans l’armée c’est aussi une dimension de l’apostolat. Ils font ce travail pour assurer notre sécurité. Nous prions pour nos forces de défense. Nous prions pour que Dieu les aide. Quant aux acteurs politiques, nous leur lançons cet appel à la responsabilité. Ils doivent comprendre que c’est leur leadership qui détermine la couleur et le cas dans le quel se trouvera le pays dans les années à venir. Un leadership moins complaisant, moins émotionnel, mais beaucoup plus stratégique, aidera le Congo non pas seulement à résoudre les questions liées à l’insécurité aujourd’hui, mais aussi à assurer aux Congolais un lendemain meilleur. Il faut qu’ils comprennent les fonctions qu’ils occupent. Certes ils sont intelligents, ils ont été recommandés de gauche à droite, mais c’est Dieu qui élève et Dieu leur a donné le devoir de paître ses troupeaux, que sont des millions de Congolais et pour cela, ils seront jugés par Dieu un jour. Ils seront aussi jugés par l’histoire. Ils ont intérêt à entrer dans l’histoire par la grande porte et non par une petite porte. Pour celà, il faudrait que leur gouvernement, leur leadership soit un leadership qui se lève au-dessus de la moyenne, un leadership clairvoyant, un leadership transformateur, un leadership de développement. Et pour ça, ils ont besoin de bien se faire entourer, parce que le problème de ce pays, c’est que la plupart des personnes qui ont une parcelle d’autorité, sont très très mal entourées. Elles sont entourées par des cousins, par des neveux, par des amis qui les sécurisent individuellement, mais qui ne sécurisent pas le pays ou les institutions. Que le populisme ne soit pas le cimetière de leur vocation, que nos autorités se tiennent debout pour faire même des choses qui ne plairont pas aux gens, mais qui constituent des garde-fous pour l’avenir. Aux pasteurs, j’exhorte de ne pas se laisser acheter, de ne pas intégrer des forces rebelles, mais plutôt de rester de serviteurs de Dieu prêchant la parole de Dieu. Notre rôle en tant qu’Église, c’est d’être la lumière du monde et non pas le ténèbre du monde.