Le début de cet ovni littéraire est envoûtant. On a l’impression d’assister à une messe profane où chacun égraine son propre chapelet. Du spirituel. La convocation de Marlène est singulière, incantatoire. Une figure fantasmée, peut-être. Une obsession, sûrement. Ce qui est certain, c’est que le poète est en quête de sens : « Rends-moi oreilles attentives aux chants qui courent les rivières ». C’est la transe. L’appel à l’inspiration.

– Profaner Notre père –

Au fil de cette longue diatribe poétique, l’évidence s’impose : ce n’est rien d’autre qu’une déformation sacrilège de la prière de Notre Père. « Offre-nous aujourd’hui notre bière quotidienne ». Marlène, une sainte dans un bidonville de Kinshasa ? Le doute s’installe. Les verbes se déchaînent. Le jeu de mots ( calembour ) et la satire sont intéressants : « Au nom du père/ du fisc, de la sainte ni touche, vierge de Paka-djuma ». Tchicaya vient au secours du poète. « Ressuscite parmi nous pour chanter l’éternité ». Mais il n’est pas seul. Senghor, Césaire… La lignée des aînés veille. Vincent veut plus d’inspiration, encore, toujours. C’est pourquoi il les convoque pour parler aussi de la colonisation qui a laissé ses traces dans la société.

La prière adressée à Marlène trahit l’illusion : elle n’est pas sainte, elle est chair et vertige. « J’ai sur ma peau velours-bois-ébène le sacerdoce de nos coïts ». C’est là que l’on comprend que Vincent n’est pas seul dans sa tête. Il dérive dans un monde entre rêve, illusion et folie, où les mots vibrent, où la poésie pulse à chaque ligne avec des images très sensuelles. Le seul exutoire de l’homme.

– Fou pour la société –

La langue argotique s’infiltre, joue, cogne. Est-il en état d’ébriété ? Qu’importe. L’ivresse ne l’empêche pas de fustiger la société, « cadavre embastillé dans les ténèbres », ni de pointer du doigt ces Kinois insouciants, ambianceurs, pendant que le sang coule « dans l’est du pays ». Cette société l’a sali. On dit du mal de lui. Il s’en plaint à Marlène qui devient un être suprême : « Pourtant, je ne suis pas fou ». Si les Paradis artificiels de Charles Baudelaire donnent l’illusion d’un monde plus beau, il n’en est pas question chez Vincent. Chez Negue Fly Nsau, tout est prétexte au sarcasme.

Puis vient la prose, brute, dénuée de la poésie qui rythmait la diatribe du poète. Le souffle retombe. Vincent est un poète maudit. Il a 50 ans. Pas d’enfants. Pas de perspectives. Malgré le talent, aucune reconnaissance. Malgré les mots, aucun écho. Son passé pèse. Il est en quête du sens. Le trouvera-t-il ? La description de sa vie présente diminue l’intensité poétique que l’auteur nous a habitué. L’histoire devient terne par moment. Il manque de l’audace. Mais elle reste vivante quand-même. Sa conversation avec son ami Valentin ravive un peu la flamme. Mais on reste sur la faim. La poésie nous manque. On aime bien le sarcasme, l’audace, l’univers teinté d’alcool offerts par l’auteur.

« Vierge de Paka-djuma », Ed. Mikanda, P.72, 10$