La case aux murs de feuilles séchées noircies par les flammes où elle officie, appelée « véranda » dans la région, est considérée à la fois comme un dispensaire de médecine traditionnelle et un poste de communication directe avec les défunts.

Soudain, la jeune femme bascule la tête sur le côté, les yeux révulsés. Sa voix se transforme et devient rocailleuse. Un ancêtre parle désormais à travers elle. Est-il d’accord pour que ses descendants accordent une interview ? Les visiteurs ont apporté du vin de banane fabriqué avec des méthodes traditionnelles pour obtenir ses faveurs, conformément aux usages. A travers Julie, l’ancêtre signale qu’il préfère une célèbre marque de bière congolaise mais accepte tout de même.

Coiffé d’une toque de fourrure, pipe traditionnelle aux lèvres, Sangala Paluku, le frère de Julie et guérisseur comme elle, prend la parole dans un nuage de fumée.
« Ces vérandas nous aident à soigner. Quand il y a la sécheresse ou la guerre, nous invoquons nos ancêtres pour leur demander pourquoi », dit-il.

Des habitants de toute la région viennent chercher conseils et guérison dans les vérandas de Bulambo-Isale, un village perché dans les montagnes de la province du Nord-Kivu et fief culturel de la communauté Nande.

De telles vérandas existent dans plusieurs communautés en RDC, mais la tradition est restée particulièrement vivace chez les Nande, l’une des principales communautés de la province, particulièrement active dans le commerce. Telesphore Karonde, ancien président de la communauté Nande de Goma, la capitale provinciale, est venu régulièrement à Bulembo-Isale pour des « consultations ».

Quand vous entrez dans les vérandas, il n’y a personne, mais il y a des voix qui vous disent ce que vous venez chercher, raconte-t-il.

– Guerre spirituelle –

Il y a quelques années, M. Karonde est venu demander aux mânes comment débarrasser sa communauté d’un chef de groupe armé rebelle. Les ancêtre lui ont demandé de ramener un peu de poussière foulée par le seigneur de guerre, raconte-t-il.

Il s’est exécuté. Et un mois plus tard, selon ses dires, le seigneur de guerre en question avait quitté Goma avec ses troupes. M. Karonde est ensuite revenu à plusieurs reprises consulter les mânes, notamment pour tenter de mettre fin aux exactions commises par les groupes armés dans sa ville ou encore pour sauver un gouverneur provincial visé par une procédure de destitution…

Un tel pouvoir est évidemment sollicité par les hommes politiques, les grands commerçants… ainsi que par les combattants, dans le contexte du conflit opposant l’armée congolaise alliée à des milices locales au groupe armé M23, soutenu par le Rwanda et qui ne cesse de gagner du terrain dans l’est de la RDC depuis sa résurgence en 2021.

Aux alentours de la ville de Butembo, fief économique de la communauté Nande, une petite troupe de wazalendo (« patriotes » en swahili), ces miliciens qui appuient l’armée de la RDC contre le M23, veille au sommet d’une colline. Une « véranda » trône au milieu de leur camp. L’accès est strictement interdit à quiconque susceptible de révéler des secrets utiles pour l’ennemi.

« Nous sommes censés protéger ce pouvoir par tous nos moyens, c’est ce qui fait de nous de grands résistants », lance aux jeunes recrues Asa Apalu Kumahamba, le chef du groupe.

Si les combattants en tous bords présents dans la région utilisent grigris et amulettes pour prétendument se protéger des balles, le pouvoir Nande reposerait principalement sur la prière et la solidarité. Les grigris, « c’est de la sorcellerie, alors que la pratique communautaire, c’est complètement différent », assure Maximin Kambale Muhamba, représentant d’une association culturelle Nande, par ailleurs largement impliquée dans le recrutement de miliciens.

Les clans qui composent la communauté nande doivent s’unir dans la prière pour que les forces spirituelles des ancêtres puissent agir, selon lui. « Ce qui nous met en échec dans cette guerre, c’est la divergence et la cupidité », déplore le guérisseur Sangala Paluku.

En RDC, les autorités coutumières, gardiennes supposées de la tradition, menacent régulièrement dans les médias congolais de déchaîner sur l’ennemi les pouvoirs ancestraux. Sans succès jusqu’à présent.