Qu’attendre du Sommet conjoint SADC-EAC de ce samedi à Dar es-Salaam ? Ouragan a posé la question au professeur Martin Ziakwau Lembisa, docteur en Relations internationales. L’expert des Grands Lacs africains explique que cette grand-messe des chefs d’Etat de deux blocs régionaux est une opportunité cruciale pour explorer les voies menant à une résolution pacifique et durable de la crise congolaise.
Dans cet entretien, le professeur associé à l’université catholique de Kinshasa estime qu’il n’est pas aussi exclu que les chefs d’État entreprennent un nouveau processus visant à traiter simultanément les deux dimensions essentielles du problème.
Ouragan : Quel pourrait être l’enjeu du sommet conjoint SADC et EAC prévu ce samedi 8 février ?
Professeur Martin Ziakwau : Permettez-moi, en premier lieu, d’exprimer ma profonde compassion envers les victimes des atrocités perpétrées par les violences armées, tant dans l’est du pays que dans la région de Kwamouth. L’enjeu de ce sommet conjoint se présente comme une opportunité cruciale pour explorer des voies menant à une résolution pacifique et, surtout, durable des problèmes de sécurité découlant des interventions militaires du Rwanda dans le Nord et Sud-Kivu. En effet, la République démocratique du Congo et le Rwanda sont tous deux membres de la Communauté Est-Africaine (EAC), disposant d’un mécanisme de sécurité collective. Par ailleurs, la RDC est aussi membre de la SADC, se devant d’agir conformément aux principes de solidarité inscrits dans son Pacte de défense mutuelle.
A l’issue de ce sommet, peut-on s’attendre à la mutualisation des forces militaires de deux organisations intergouvernementales ?
Je ne le pense pas, car à l’issue de récents sommets de l’EAC et de la SADC, les chefs d’État de ces deux organisations ont plaidé pour une résolution pacifique du problème sécuritaire. Si une mutualisation des forces venait à se concrétiser, cela pourrait s’inscrire en soutien au mécanisme de résolution pacifique qui sera convenu, plutôt que de s’orienter vers une action coercitive. À cet égard, rappelons qu’il y a deux processus de paix : celui de Nairobi, orchestré sous l’égide de l’EAC, et celui de Luanda, dirigé par l’Angola, qui préside actuellement la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) tout en étant membre de la SADC.
Aujourd’hui, les deux processus ne progressent plus sur la même voie. Pourtant, en novembre 2022, à l’issue d’un mini-sommet tenu à Luanda, où était notamment présent le président burundais, jadis président en exercice de l’EAC, les participants avaient adopté une Feuille de route visant à harmoniser et coordonner ces deux initiatives. Malheureusement, le retrait de la Force de l’EAC du territoire congolais, déployée en vertu de cette Feuille de route, a entravé cet élan de coordination. S’en est suivie une dynamique interne au sein de la RDC, consistant en la mobilisation des groupes armés considérés comme d’auto-défense pour contrer la présence militaire rwandaise. Pendant ce temps, en signe de soutien à la RDC, la SADC a déployé une Force à mandat officiellement offensif. Pourtant, malgré ces efforts, les résultats escomptés se sont révélés insuffisants pour endiguer la détérioration de la situation sécuritaire.
Il aurait semblé logique que l’Angola, qui s’apprête à prendre la présidence de l’Union africaine le 17 février prochain, convoque un sommet de la CIRGL. Bien que la RDC soit membre de la CEEAC, du COMESA, de la CIRGL, du Mécanisme régional de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, de la SADC et de l’EAC, il convient de souligner que ce sont les deux dernières organisations qui ont rapidement pris la mesure de ce problème sécuritaire. Le choix de la Tanzanie pour accueillir ce sommet conjoint revêt une signification particulière. En effet, ce pays est membre de ces deux communautés économiques régionales ; ce qui témoignerait de son rôle pivot dans cette nouvelle dynamique de coopération.
Voulez-vous dire que ce sommet permettra de redynamiser les processus de Nairobi et de Luanda ?
Il n’est pas exclu que les chefs d’État entreprennent un nouveau processus visant à traiter simultanément les deux dimensions essentielles du problème. D’une part, il s’agirait de l’ordre national, rappelant ainsi le processus de Nairobi, tombé en léthargie. D’autre part, il y aurait la dimension régionale, en mettant l’accent sur la relation entre la RDC et le Rwanda. Par ailleurs, il est impératif d’envisager également la portée internationale de cette problématique sécuritaire, afin d’appréhender pleinement les enjeux en jeu et convenir des actions appropriées.
Comment expliquez-vous que la SADC, qui a une force en RDC, préconise le dialogue plutôt que de renforcer son dispositif militaire au pays ?
La guerre, par essence, engendre un coût tendant souvent à dépasser les prévisions les plus prudentes. Lorsque les dépenses, qu’elles soient déjà effectuées ou à venir, surpassent les bénéfices escomptés, il devient impératif pour les décideurs de privilégier le dialogue, à moins que des enjeux cruciaux liés à la préservation d’une image soigneusement construite ou voulue telle ne viennent influer sur leur jugement. D’après les informations dont je dispose, la SAMIDRC aurait déployé des efforts considérables pour prévenir les événements tragiques survenus ces derniers jours dans le Nord-Kivu. Néanmoins, il serait imprudent d’écarter la possibilité d’une reconfiguration de cette Force dans un sens ou dans l’autre dans les semaines à venir suivant les résultats du sommet conjoint.
Pourquoi, contrairement à 2013, la SAMIDRC ne parvient pas à défaire le M23 ?
Le contexte se révèle résolument distinct. En 2013, la Force de la SADC, bien que revêtue d’un mandat offensif, était intégrée dans le cadre de la Monusco. De plus, cette Brigade bénéficiait d’une logistique sophistiquée, notamment pour des missions de renseignements et d’opérations, fournie par des Etats contributeurs non-africains. En revanche, la situation de la SAMIDRC s’inscrit dans un tout autre registre.
Pourquoi ne fût-ce tel pas le cas ?
Ce sujet est complexe. Il convient notamment de souligner qu’en 2013, c’est à titre exceptionnel que le Conseil de sécurité de l’ONU avait consenti à une intervention militaire, dans l’intention de favoriser la mise en œuvre de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en République démocratique du Congo et la Région », signé à Addis-Abeba le 24 février 2013. Cet instrument vise à orchestrer des réponses structurelles face à la résurgence des conflits armés dans l’est du pays. Les réformes envisagées devraient, en théorie, offrir à la RDC l’opportunité de se réinventer en tant qu’État, de renforcer nos services de sécurité et de défense, d’assainir les finances publiques et d’encourager des avancées significatives dans le processus de décentralisation. Elles visent également à promouvoir des incitations économiques propices à la paix, en particulier dans l’est du pays, et à favoriser la cohésion nationale, afin d’unir toutes les Congolaises et tous les Congolais dans un élan commun pour le Congo.
Dans cette optique, il serait avisé que le gouvernement s’engage résolument dans une évaluation rigoureuse de la mise en œuvre des engagements nationaux souscrits dans le cadre de cet Accord-cadre. Une telle démarche pourrait non seulement offrir un précieux diagnostic de l’état de santé de notre État, mais aussi susciter des changements positifs dans nos pratiques sociales. Ce, sans avoir nécessairement à nous référer à la mise en œuvre des engagements régionaux et internationaux. Dans l’adversité, une remise en cause pourrait se révéler bénéfique, ouvrant la voie à des perspectives pour un Congo réaffirmé dans sa souveraineté, capable d’embrasser son destin.