Publié aux éditions Mikanda, “Etcétèra” est un vertigineux chant poétique, un miroir accusateur traversé de mille images déchirées. Ce recueil de papillons en papier de Youssef Branh nous laisse “songeur”, là où la poésie et la femme semblent se confondre.
Etcetera est un vertigineux chant poétique @Photo Droits tiers.
Dans les années 70, l’excellent journaliste Yamaina Mandala avait posé une question classique au fondateur du mouvement Concrétisme, Tito Yisuku : « La poésie, c’est quoi ? ». Ce dernier avait répondu : « C’est le moyen le plus profond… pour traduire mon état d’âme, un chant qui soulage… ». Ainsi, le poète devient l’homme de toutes les situations. Par quel moyen ? Par le poème, ce « passé qui ne passe pas, ce présent qui s’offre, ce parfum qui s’allume ». Dès l’entame, Youssef nous déboussole en ouvrant un chant chargé des « cantiques éteints des nuits profondes ».
– Césaire, Césaire, voix puissante –
Les cicatrices ? Le poète en porte plein. Posté sur la cime sociétale, il entend ces blessures crier « comme sur des feuilles déchirées ». La colonisation, ce mot chargé de bourrasques, de mille images brutales, vient se heurter aux pieds du poète.
En invoquant Césaire, Youssef semble rechercher une voix puissante et évocatrice. Le Chant Césaire est à la fois un cri de révolte contre l’oppression coloniale (« Que chacun lise chaque coup de fouet / Sur nos dos de papyrus… / Le silence chantera nos poèmes déchirés ») et une quête de dignité et d’identité dans un monde brutal où l’homme noir est réduit à l’état de victime. Dans l’image de Césaire, le poète puise la force d’exprimer des idéaux souvent perçus comme inaccessibles.
– Le temps de l’errance –
Puis vient le temps de l’errance. Le récit se troue de voix multiples, celles d’un présent offert comme un tableau désolé : « On a tué nos repères ». Ici, le verbe devient plus oral, rappelant que le poète est aussi un slameur. L’inconstance, le désespoir, la soif, l’obsession, la lourdeur de l’existence (« Là-bas les uns se dopent / Pour oublier qu’ils existent ») font de l’homme un être fragile, capable des pires pensées et actions.
Dans ce bazar ordonné, où chacun cherche sa place comme il peut, le poète personnifie l’attente en une femme. Celle qui est peut-être partie sans prévenir : « Je t’attends / Comme on attend l’aiguille du vivre». Femme insoumise, elle ne revient pas. Pourtant, le poète espère, “assis, debout, couché, accroupi”. Le temps qui passe est lourd à porter. Cette antithèse le dit si bien : « Ne laisse pas l’infini se finir ». Et quand elle revient enfin (malgré la maladresse des rimes. Le poète fait rimer Homme et Ombre, Résigne et Djinns…), c’est l’occasion pour elle d’être louée : « La vraie douceur, c’est dans tes yeux / Qui coulent comme sur des flots d’amour ». Là, poésie et femme se confondent, et la musicalité nous prend au piège.
Quand arrivera ce monde sans poésie ? La fixité comblera l’espace : ce sera la mort. Il était donc naturel que ce recueil se clôture par un hommage vibrant à la poésie et à ceux qui sculptent les mots avec merveille : « Je lève les yeux jusqu’à la nuit noire / Pour voir la poésie se hisser jusqu’à la cime des étoiles… ». C’est à vous maintenant d’entrer en transe dans cet univers de mots renouvelés.
Etcetera, recueil de papillons en papier, de Youssef Branh, Ed. Mikanda, 10$.