L’histoire du Congo et surtout celle de son indépendance est tronquée. Dans son désir de couvrir sa participation à l’assassinat de Lumumba, Mobutu nous a menti en falsifiant l’histoire. C’est ainsi que même des professeurs d’université la biaisent voire la tribalisent.
Roger Puati, historien et théologien @Photo Droits tiers.
La mort tragique et révoltante de Lumumba ne permet pas un débat scientifique dépourvu d’émotions sur certaines questions liées aux événements qui ont conduit notre pays à l’indépendance. Pour autant, nous ne devrions pas pour des raisons idéologiques ou partisanes opposer les grandes figures de l’indépendance du Congo. La vérité historique nous montre que Kasa-Vubu fut le premier homme politique (Kimbangu l’est du point de vue spirituel dès 1921) indépendantiste congolais. Il est l’homme de l’indépendance immédiate de tout le Congo dès 1946 avec son « droit du premier occupant » à savoir le Congolais, contrairement aux élucubrations ethnicistes qu’on lui prête ça et là. Alors qu’il va occuper le fauteuil de bourgmestre de la commune de Dendale (qui prendra son nom), Kasa-Vubu ne considère pas que son nouveau poste est l’aboutissement de son combat pour qu’il taise ses revendications indépendantistes.
Contrairement à certains hommes politiques qui cèdent à l’achat des consciences dès qu’on leur donne un poste, Kasa-Vubu va catastropher l’administration coloniale avec son discours au vitriol : « il nous faut l’indépendance immédiate du Congo, plutôt que des postes de sous-fifres ». Lumumba, quant à lui, était membre du Parti Libéral du ministre des Colonies Auguste Buisseret depuis 1955. Il y siège donc avec des Belges et ne parle pas d’indépendance. C’est d’ailleurs cette appartenance qui lui vaudra la faveur d’obtenir des autorités coloniales, qui ont toute confiance en lui, l’autorisation d’aller conférer à Accra et faire rapport à son parti, le Parti Libéral. Kasa-Vubu, l’« agitateur » et Diomi se verront refuser le droit de sortir du pays pour aller rencontrer d’autres « agitateurs » comme Kwame Nkrumah, Nyerere… . Et c’est Accra qui va ouvrir les yeux à Lumumba. Car en 1956, dans une lettre que Lumumba envoie aux « évolués » de Stanleyville (Kisangani), il déclare : « Tous les Belges qui s’attachent à nos intérêts ont droit à notre reconnaissance, notre estime et notre sympathie. Nous devons leur rester étroitement attachés pour construire une véritable Belgique d’outre-mer. » Dans cette même lettre, il ajoute que ces Belges sont « les continuateurs de l’œuvre géniale de Léopold II. » ( cfr « Congo, l’histoire d’un gâchis et d’un pari stupide » de Jacques Braibant, éditions Jourdan). Et donc « l’œuvre géniale de Léopold II » qui sort de la bouche du roi des Belges le 30 juin 1960 est un emprunt qu’il fait à un écrit de 1956 de Patrice Lumumba.
Accra sera donc le chemin de Damas de Lumumba. Son discours est censuré par Nkrumah qui lui montre que les Africains ne doivent pas s’attendre à une quelconque amélioration de leur sort et de leur destin en cheminant la main dans la main avec les colons. Car ce n’est pas la longueur de la corde qui attache la chèvre à un pieux qui détermine l’effectivité de sa liberté mais la rupture du lien qui l’empêche de gambader comme bon lui semble. « Il nous faut l’indépendance et rien d’autre ». C’est donc un Lumumba transformé par la conférence d’Accra de décembre 1958 qui revient à Léopoldville. Lumumba est incontestablement un indépendantiste tardif qui doit vite se rattraper. Il ne sera indépendantiste qu’une année et demie tout au plus. Élément important à mentionner dans les causes obscures et ignobles qui ont présidé à l’assassinat du fils de Tolenga, son retournement du Parti Libéral de Buisseret, considéré comme une trahison en plus de son discours non-protocolaire du 30 juin 1960, a vraisemblablement pesé dans la décision de l’éliminer. Lumumba, martyr et héros national ? Oui. Lumumba, un des Pères fondateurs du Congo moderne ? Oui. Lumumba, Père de l’indépendance ? Non, les données historiques résistent à une telle affirmation.
Roger Puati, historien et théologien