Pour la deuxième année consécutive, le ministre d’État en charge du Budget, Aimé Boji Sangara Bamanyirwe, a effectué des commandes de vivres des festivités de fin d’année 2024, sans appel d’offre, même pas par gré à gré! Alors que la distribution des poulets et riz a déjà commencé et se poursuit dans l’administration, le site de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) n’a rien relayé sur un probable appel d’offre d’une commande ou un marché public lancé par le ministre du Budget, comme il est d’usage.
Aimé Boji, le ministre du Budget. @ Photo Droits tiers.
Des centaines de milliers de dollars auraient donc été sortis des caisses de l’État, en toute opacité pour un marché noir… avec un ou des fournisseur(s) que seul Boji Sangara connaît ? Contacté par le Desk Ecofin d’Ouragan.cd, l’Inspection générale des finances (IGF) par voie autorisée, fait comprendre qu ‘ “il peut s’agir des livraisons sans paiement et à honorer au premier trimestre 2025, comme d’habitude”. Il est aussi possible , explique-t-on à l’IGF, que “le paiement a été une mise à disposition des fonds à justifier”. Mais en tout état de cause, les limiers de Jules Alingete Key ne pourraient agir avec efficacité que si un “DTO ou un OPI était payé par le ministre des Finances, [Doudou Fwamba Likunde Li-Botayi]’. À propos, “les dossiers transmis pour la paie à la Direction du Trésor et de l’Ordonnancement (DTO), un service du ministère des Finances, sont les plus exposés à la corruption, avait fait comprendre Doudou Fwamba. Qui a dit s’employer pour y mettre terme.
– DTO et OPI, dossiers hautement sensibles –
“En RDC, la transparence dans la gestion du dossier DTO est un impératif moral et politique. Elle devrait permettre non seulement de clore ce chapitre tumultueux de l’histoire financière de la RDC, mais aussi d’ouvrir la voie à une gouvernance plus transparente, responsable et éthique”, soutient le chercheur et consultant senior cabinet CICPAR, Teddy Mfitu. Et pour ce qui est de l’OPI, l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) a déjà recommandé aux deux Chambres du Parlement de saisir la Cour des comptes afin qu’elle contrôle la gestion des dépenses publiques (bon engagement, bon de retrait, avis favorable émis sur les ordres de paiement informatisés (OPI). Le Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL) a également relevé que la chaîne de la dépense publique a connu des couacs dans son fonctionnement du fait des OPI.
L’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi Kadima-Nzuji, a actionné, selon le CREFDL, le compte général du Trésor, durant l’exercice budgétaire 2022, par des simples lettres, sans l’émission des OPI. Cette situation a entraîné des sorties de fonds de 2,9 milliards $US sans autorisation préalable du Parlement, un décaissement à la Banque centrale du Congo de 1,3 milliard $US en procédure d’urgence courant 2022. Doudou Fwamba est déterminé à en finir avec ces pratiques.
– L’incontournable avis de non-objection –
En tout état de cause, DTO ou pas , OPI ou pas, les commandes des vivres de Bonana en faveur de l’administration publique devraient être obligatoirement couvertes d’un appel d’offre même d’une entente directe, expression doucereuse pour désigner l’ignominieux recours au gré à gré. Et l’avis de non-objection de la Direction générale de contrôle des marchés publics ( DGCMP) est un passage obligé pour toute commande publique à moins qu’il ne s’agisse d’une commande spéciale comme l’achat des armes pour les forces armées. Toutes les démarches menées par le Desk Ecofin d’Ouragan pour entrer en contact avec le cabinet d’Aimé Boji Sangara Bamanyirwe sont restées sans succès. Même des messages WhatsApp envoyés à l’un des plus proches collaborateurs sont demeurés sans lendemain. Hélas. Comme l’an dernier, en décembre 2023, le régulateur des marchés publics n’avait rien communiqué ni sur le coût des commandes ni sur le (s) fournisseur(s) qui avai(en)t remporté les marchés.
Selon certaines indiscrétions dans les couloirs du cabinet du minÉtat, il pourrait s’agir de mêmes opérateurs, tous des expatriés. En 2022, Aimé Boji avait versé, selon des notes disponibles à l’ARMP, environ 6,100 millions $US au seul libanais Socimex pour la fourniture de 85.000 cartons de poulet à bouillir de marque, non pas Wilky ou Pluvera mais Mbote, Poule d’or, Bon, etc., et 77.000 sacs de riz de 25 kg de marque Lion. Jamais l’État n’a accordé ne fut-ce qu’un pourcent (1%) du marché de fourniture du riz aux producteurs locaux de Kingabwa-Ngwele ou de Masina! Et comment faire émerger une nouvelle classe moyenne des millionnaires congolais ?
– Boji zappe Suminwa –
Des analystes s’interrogent si le minÉtat du Budget n’a-t-il pas volontairement ignoré la directive de la Première ministre Judith Suminwa Tuluka sur les marchés publics. Lors de la sixième réunion ordinaire du Conseil des ministres du vendredi 19 juillet 2024, Mme Suminwa a insisté sur le respect de la procédure de passation des marchés publics et la sauvegarde des intérêts de l’État. “Les projets des marchés publics et de partenariat public-privé notamment les concessions de marché public de service public, les marchés de type BOT « build, operate and transfer » devront dorénavant être présentés et discutés au préalable en Commission interministérielle y relative puis en Conseil des ministres avant la signature de l’autorité compétente sous la supervision de la primature (…). Cette mesure est de stricte application sur l’ensemble des ministères du gouvernement ainsi que les établissements et structures sous tutelle».
Déjà en 2020, s’adressant à tous ses ministres, aux directeurs-généraux des entreprises, établissements et services publics aux présidents de deux Chambres, les gouverneurs des provinces et leurs ministres, l’alors Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, dans sa circulaire n°CAB/PM/CTS/EKT/07/2020/1453 du 31 juillet 2020, notait, «Je rappelle que les lois 18/016 du 09 juillet 2018 relative au partenariat public-privé et n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics sont en vigueur depuis la date de leur promulgation».
Il leur exige notamment de « s’abstenir de financer un marché sans avoir préalablement pris connaissance de la preuve de la part de l’opérateur économique sélectionné, d’un numéro d’enregistrement du contrat et de l’attestation de paiement de la redevance de la régulation délivrée par l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) ». Et depuis le 3 août 2020, le chef du gouvernement a imposé à tout opérateur économique, titulaire d’un contrat de marché public, délégataire de service public ou de partenariat public-privé, à verser à l’ARMP, la redevance de régulation équivalant à 0,7% du montant hors taxe du contrat ou du chiffre d’affaires du PPP, partenariat public privé concerné, avant tout commencement d’exécution dudit contrat. Le régulateur des marchés publics octroie alors à chaque contrat enregistré un numéro d’enregistrement et délivre l’attestation de paiement de la redevance de régulation, afin de prouver que le titulaire dudit contrat est en règle vis-à-vis de l’Autorité de régulation des marchés publics. L’IGF, garante de la gestion orthodoxe des dépenses publiques, est dans l’obligation d’identifier tous les fournisseurs avec qui Aimé Boji et les autres responsables des marchés publics ont dealé pour les commandes de vivres de Bonana.
Au 21 décembre 2024, le site de l’ARMP ne comptait que les appels d’offres du Cadastre minier (CAMI) et de Trans Academia. Les flics de l’IGF sont dans l’obligation morale de faire la lumière sur la banalisation, particulièrement par le minÉtat du Budget, de la loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics ainsi que le décret n°10/22 du 2 juin 2010 sur le manuel des procédures de passation des marchés publics. Il sied, par ailleurs, de rappeler que le président de la République avait annoncé, urbi et orbi, un remaniement du gouvernement début 2025. Il ne sera donc point question de chantages politiques sur le prétendu poids politique de tel ou tel parti, regroupement politique ou de quiconque. Jean-Pierre Bemba a quitté la Défense pour les Transports, le ciel n’est point tombé sur les têtes des Congolais. Lors des états généraux de la justice, Jules Alingete avait sollicité un réexamen des immunités accordées aux membres du gouvernement et autres gestionnaires publics, l’adaptation du code pénal congolais aux nouvelles infractions de la criminalité financière ou encore le renforcement de l’arsenal juridique répressif au regard des actes de détournement des deniers publics.