Suivant l’orthodoxie constitutionnelle stricte, l’article 220 ne peut être déverrouillé sous prétexte qu’il n’est pas lui-même verrouillé même s’il verrouille les matières intangibles. La théorie de la double révision constitutionnelle constitue un vice de raisonnement en Droit constitutionnel contemporain.
Daniel Mbau, professeur de Droit Constitutionnel. @ Photo Droits tiers.
Francis Delperé estime que la thèse de la double révision ou de révisions succesives de la Constitution ne peut emporter l’adhésion. ( F. Delperé, Le Droit constitutionnel de la Belgique, Paris, LGDJ, p. 167). Elle constitue la négation de l’essence même de la Constitution et de la révision constitutionnelle comme mécanisme d’aptation des constitutions modernes.
En Droit constitutionnel normatif, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut s’autolimiter. Cette compétence d’attribution relève exclusivement du pouvoir constituant originaire qui aussitôt établit une Constitution, ne peut plus se dédire pour retrancher ou augmenter les matières non révisables. Il reste désormais en dehors de la Constitution à l’attente d’un éventuel vide juridique. Le pouvoir de révision étant un pouvoir limité et non souverain, il n’a pas reçu mandat du pouvoir constituant originaire ( le peuple du référendum ) de s’autolimiter ou de bousculer les frontières de limitation matérielles fixées à l’article 220 en ajoutant comme en retranchant les matières non révisables dont notamment le principe du suffrage universel, la forme républicaine de l’Etat, le principe du pluralisme politique et syndical…
Techniquement ce qu’il faut retenir d’un point de vue philosophique, que l’âme de la Constitution vit dans l’article 220, autant que l’âme vit dans le sang, autant que toute l’architecture constitutionnelle est adossée sur l’article 220, qui est le socle du pacte républicain. On ne peut donc prétendre travertir cette disposition et continuer à croire qu’on est en face de la même Constitution. Ainsi, toute révision qui irait dans le sens de revoir cette disposition n’en serait pas une. Il s’agira donc d’une fraude à la Constitution subtilement orchestrée sous la forme d’un détournement de pouvoir disait Francois Ost.
Autrement dit, on serait en face d’un procédé par lequel le pouvoir de révision utiliserait ses pouvoirs dans un but autre que celui en vertu duquel il a été établi, c’est-à-dire réviser la Constitution pour établir un régime fondamentalement différent.
Une telle approche révisionniste, de mon point de vue, mettrait le pouvoir de révision constitutionnelle d’avec le pouvoir constituant originaire dans un rapport de stricte équivalence et d’identité. En effet, le pouvoir constituant institué par une fraude voilée et pernicieuse se libérerait de toute contrainte et de toute limite en créant sa propre légitimité tirée de nulle part. Elle bénéficiairait alors de la même onction souveraine que le pouvoir constituant originaire qui est par essence, initial, autonome, discrétionnaire et illimité.
Or Olivier Beaud estime qu’il ne saurait y avoir de pouvoir constituant qu’originaire, le pouvoir constituant dérivé correspond à ce qu’il faut appeler le pouvoir de révision. (Olivier Beaud, La puissance de l’État, Paris, Puf, 2099). Une manière de dire qu’il n’existe qu’un seul souverain illimité, c’est le peuple du dehors, c’est-à-dire le peuple du référendum constituant et non le peuple du dedans, c’est-à-dire, le peuple qui apparaît aux 5 et 218 de la Constitution qui, du reste, a des mains liées. Il ne peut intervenir dans les limites de fond et de forme prescrites par le constituant originaire lui-même.
En conclusion, en toute honnêteté scientifique, une révision constitutionnelle en soi, n’est pas interdite en Droit constitutionnel contemporain. Elle peut non plus être considérée comme un tabou inviolable. En revanche, si elle est déclenchée conformément à l’article 218 de la Constitution, elle peut se faire que dans les strictes limites fixées par la Constitution elle-même. Rien de plus.
Votre Humble serviteur !
Me Daniel Mbau Sukisa
Professeur de Droit constitutionnel
Homme d’Eglise