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Tribunal de l’invisible à Brazzaville, lieu où les affaires spirituelles trouvent justice

Dans le quartier populaire de Makélékélé à Brazzaville, existe une instance aussi fascinante qu’énigmatique où l’on siège pour rendre justice aux griefs intangibles et régler des conflits enracinés dans les croyances mystiques. On l’appelle le « tribunal de l’invisible », une juridiction où les maux immatériels, les querelles familiales et les accusations de sorcellerie sont examinés à travers des rituels ancestraux.

Par Youssef Branh

Les juges du tribunal coutumier de Makélékélé à Brazzaville en République du Congo @Photo Ouragan.

publié le 5 novembre 2024 à 06:00:00

Quand la justice conventionnelle échoue face à des disputes marquées par les traditions, nombre de Congolais se tournent vers cette Cour parallèle. Sous le feuillage dense d’un manguier, le doyen du tribunal et ses conseillers, des experts en arts ésotériques, tiennent des sessions solennelles et rendent des verdicts guidés par les esprits et la sagesse ancienne. Parmi eux, Mbonzi, un homme respecté au regard pénétrant, est perçu comme le chef spirituel des magistrats (assis). « Ici, nous jugeons l’esprit avant le corps. Les ancêtres doivent être consultés pour comprendre le lien entre le visible et l’invisible », glisse-t-il.

– Sorcellerie, réconciliation, justice alternative –

La majorité des affaires traitées par le tribunal de Makélékélé concernent des accusations, un sujet omniprésent dans la société congolaise. Les querelles familiales, les décès inexpliqués ou les maladies soudaines mènent souvent à des soupçons de pratiques occultes. Alors, les juges tentent de démêler le vrai du faux, mais surtout de rétablir la paix au sein des familles.

A titre d’illustration, Moumbounou, un père de famille, livre son expérience : « Ma mère m’a accusé d’avoir jeté un sort après la mort de ma sœur. Je suis venu ici pour me défendre, et ils ont conclu que ce n’était pas moi, mais un esprit malveillant », a-t-il témoigné. La sentence imposée à l’accusé fut un rituel de purification, destiné à apaiser les tensions et à restaurer les liens familiaux.

– Entre médecine spirituelle et médiation –

En réalité, les membres de la composition du tribunal ne sont ni avocats ni magistrats, mais des sages investis d’un savoir spirituel. Ils puisent dans des traditions mystiques pour gérer les accusations de malédictions et les conflits familiaux. Makaya, une guérisseuse et membre influente de l’instance judiciaire, joue le rôle de médiatrice entre le visible et l’invisible. « Mon rôle est d’écouter les esprits et de décoder leurs messages. Parfois, le mal vient d’un ancêtre en colère, pas de l’accusé », a-t-elle détaillé.

Par ailleurs, les peines vont bien au-delà de simples condamnations. Elles incluent des rituels de pardon, des offrandes aux esprits, et des cérémonies de réconciliation collective, autant d’éléments qui permettent de purifier les âmes et d’apaiser les griefs.

– Femme-sirène et autres récits inhabituels –

Certains cas frôlent le surnaturel, comme l’histoire de Mayanga, un homme venu réclamer justice pour la disparition de sa femme sirène. Selon lui, cette compagne, un esprit des eaux, aurait été enlevée par des forces occultes. Après un rituel de plusieurs jours, les juges concluent que sa bien-aimée a simplement “retourné aux eaux”. Rassuré, le plaignant accepte la décision, prêt à faire son deuil.

– Héritages et coutumes, une quête d’équilibre –

Outre la sorcellerie, la Cour traite des affaires d’héritage, où traditions matrilinéaires et lois modernes s’affrontent. Ainsi, Ngala, déshérité par sa tante selon les coutumes, a obtenu une part du patrimoine familial grâce au tribunal coutumier. Évidemment, le compromis trouvé honore à la fois la coutume et les droits modernes.

– Le mystique face à l’identité collective –

Au-delà des querelles et des accusations, ce tribunal coutumier est un sanctuaire où le mysticisme et l’identité se croisent. Chaque affaire révèle un pan du monde spirituel congolais, riche de significations et de valeurs. « Ici, la sorcellerie dépasse les simples maléfices », déclare Moumbounou. « Elle est un lien avec nos ancêtres, une voie de réconciliation avec ce que l’on ne voit pas ». Ainsi, dans cette instance, la justice n’est pas qu’une institution, elle est un pont vers le passé et une quête de paix pour le présent, un lieu unique où l’âme se retrouve jugée au cœur de Brazzaville.

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