“Je suis triste et honteux d’être un citoyen de la République démocratique du Congo”. Ce cri du cœur, brutal mais lucide du pasteur de l’Eglise Philadelphie, prononcé mercredi lors du séminaire annuel Bunda 21, résonne comme un réquisitoire contre une société gangrenée par la corruption. Dans son sermon, Roland Dalo n’a pas seulement dénoncé les détourneurs de deniers publics, mais les a aussi maudits. Sa fougue verbale est digne du prophète Ezéchiel lorsqu’il avait annoncé des malédictions sur Jérusalem à cause de leur idolâtrie et de désobéissance.
Dans son sermon, Roland Dalo n’a pas seulement dénoncé les détourneurs de deniers publics, mais les a aussi maudit @Photo Droits tiers.
Des milliards de dollars se volatilisent chaque année. La grande évasion fiscale tourne au pillage. Les chiffres de la fraude donnent le tournis. Face à l’industrialisation de la fraude, le mouvement pro-démocratie Lucha dénonce les résistances aux changements pourtant essentiels pour la société. Devant cette dure réalité, l’homme de Dieu n’est pas allé par quatre chemins. Roland Dola a exprimé son ras-le-bol. Sa dénonciation met en lumière l’écart béant entre les valeurs proclamées par les élites politiques congolaises et leurs pratiques quotidiennes. Dans ce pays où l’on traque avec acharnement les petits voleurs du Grand marché, coupables de dérober quelques centimes, les grands prédateurs, eux, prospèrent en toute quiétude. Dalo s’inquiète de la léthargie et surtout l’impunité du pouvoir public.
D’après le numéro un de l’Eglise Philadelphie, ces voleurs surfacturent des projets publics – cinq millions deviennent vingt-cinq millions –, pillant des fonds destinés aux infrastructures, à la santé ou à l’éducation. À chaque détournement, détaille l’homme de Dieu, “ce sont des routes impraticables, des hôpitaux sans lits et des enfants sans avenir qui s’accumulent”.
Ce qui scandalise davantage, mentionne le père spirituel de l’actuel président de la République, Félix Tshisekedi, c’est l’hypocrisie flagrante de ces hommes et femmes qui revendiquent haut et fort leur foi chrétienne. Le pasteur dénonce cette schizophrénie morale : “Si tu te dis politique et chrétien, montre-moi tes rapports avec l’argent”. Pour lui, ces “chrétiens nés de nouveau, parleurs en langue”, qui se drapent dans une spiritualité de façade, sont les premiers à dénaturer les valeurs qu’ils prétendent défendre. Ces mots, qui coulent comme un flot incontrôlable, poussent à agir.
Lors de l’investiture du président de la République le 20 janvier, Dalo avait prié pour que le deuxième mandat du garant de la nation s’accompagne d’“hommes de qualité” et de “valeurs” afin que les ressources du pays profitent à l’ensemble de la population congolaise. Malheureusement, le constat jusqu’à présent est amer. Ainsi, le pasteur en appelle à une prière particulière, à la fois de dénonciation et de malédiction : “Que vos maisons acquises par les vols s’écroulent. Que les érosions surgissent, même là où il n’y en avait pas”.
Derrière cette supplique, se cache un désir d’un retour à une époque où l’intégrité n’était pas un vain mot. Le pasteur évoque avec nostalgie ces “papas” d’autrefois, capables de remettre le surplus d’une mission sans trembler. En le pointant ainsi, le père spirituel touche à l’essence même du mal congolais : l’absence de responsabilité et de reddition de comptes au sein de l’élite dirigeante. Dans un pays où la pauvreté et l’instabilité sont devenues la norme, le vol des deniers publics est non seulement un crime, mais une trahison envers une nation en quête de justice et de dignité.
L’interpellation est forte, bien plus qu’un avertissement aux brebis galeuses qui, au lieu de se taire, se bombent le torse sur les plateaux télé comme pour défier tout un peuple. Dans ce pays des voleurs, les consciences doivent être réveillées. Si les élites politiques ne redécouvrent pas la vertu de l’intégrité, alors, comme l’a dit le pasteur Dalo, que Dieu s’occupe d’eux. Une sentence donc !