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Demande en mariage en public, Kin vit l’amour en spectacle

Genou au sol, une bague délicatement pincée entre le pouce et l’index, tout juste sortie de son écrin scintillant. C’est la posture devenue un rituel pour les hommes, destinée à officialiser leurs fiançailles ou, mieux encore, à faire une demande en mariage publique à leur compagne.

Par Rebecca Bekombe

Genou à terre, un homme présente une bague de fiançailles à sa promise @Photo Droits tiers.

publié le 19 novembre 2024 à 05:55:00

Il est 18 heures, Staelle Fabou Ndaya célèbre son anniversaire. Son compagnon, Feneck Kibudila Ali, a tout orchestré en complicité avec la mère de la jeune fille, une de ses meilleures amies et quelques-uns de ses proches. Il a réservé un espace à Kinsuka Beach, un espace touristique situé dans la commune de Ngaliema. À sa grande surprise, la star de la soirée découvre que la fête n’était qu’un prétexte pour une mise en scène destinée à une demande en mariage, avec la fameuse bague comme point d’orgue.

L’ambiance, jusque-là effervescente, s’arrête. Les regards se tournent. Les murmures enflent. L’espace semblait se plier aux battements de deux cœurs prêts à fusionner. « Je voulais qu’elle sache, et que le monde entier le sache, qu’elle est celle que mon cœur a choisie », proclame Feneck, les yeux rougis de joie. Au son d’une douce mélodie, il s’agenouille devant Staelle, qui, visiblement émue, n’a pu contenir ses larmes. Les curieux, eux, retenaient leur souffle.

– L’amour comme du spectacle –

Le choix de Feneck de faire sa demande devant ses proches et des inconnus en dit long sur la puissance des sentiments. « Quand on est sûr de ses choix, on n’a pas peur des regards », explique-t-il avec fierté. L’élue, elle, encore sous le choc, déclare timidement : « C’était magique. Jamais je n’aurais imaginé vivre un moment aussi unique. Il a prouvé qu’il me connaît mieux que quiconque ».

– Célébrer l’amour, toujours –

Lorsque la distinguée a dit « oui », la foule a exulté. Applaudissements. Des connaissances et inconnus se sont approchés pour les féliciter, certains versant même une larme. « C’est dans ces moments qu’on croit à nouveau à l’amour », exprime une passante.

Pour les deux tourtereaux, ce n’était pas un simple geste, mais une manière de montrer que l’amour, quand il est sincère, mérite d’être crié haut et fort. Alors que le couple s’enjaillait, les témoins n’en revenaient pas toujours. « Ils ne savent pas, mais ils viennent de rendre notre journée plus belle », commente un vendeur ambulant.

– Des instants partagés –

Sur les réseaux sociaux, les vidéos foisonnent. C’est un geste inspiré de la culture américaine qui a traversé les océans. À Kinshasa, la tendance s’impose, mêlant émotion et courage dans des scènes à la fois grandiose et inoubliable. Moment de contrainte ou geste d’un romantisme absolu ? Ouragan a tendu le micro à quelques Kinois pour recueillir leurs avis sur le phénomène. Dans la mégapole, presque toutes les occasions semblent propices à offrir une bague de fiançailles à l’élue de son cœur.

Cependant, ce phénomène viral fait couler beaucoup d’encre et divise la jeunesse de la capitale. Driks Mabeka juge cette pratique contraire aux cultures africaines. Selon lui, les demandes en mariage deviennent parfois aussi fabuleux que les mariages eux-mêmes. Il dénonce des cérémonies fantaisistes qui, à ses yeux, ne reflètent pas la réalité du mariage. « Je ne suis pas pour. On a tendance à copier les blancs (Européens et Américains). On voit des vidéos de demandes en mariage sur les réseaux sociaux. Parfois, les familles sont invitées, mais curieusement, la femme refuse la main de l’homme. Beaucoup le font pour prouver quelque chose aux autres. Certains appellent même les médias pour couvrir l’événement, et souvent, cela ne mène pas au mariage. Je trouve que ce n’est pas une preuve d’amour, mais parfois de l’hypocrisie. D’ailleurs, je souris quand je vois ça, car certains couples ne sont même pas prêts pour le mariage, mais acceptent la demande par honte pour la refuser ensuite. Une demande en privé, dans un cadre calme, reste, à mon avis, le symbole fort de l’amour », relate-t-il.

Trop tranchant, Gloire Batomene conforte cette thèse. Il estime que le phénomène ne cadre pas avec les traditions africaines. Le trentenaire parle même de suivisme et d’exhibitionnisme. Il conseille aux jeunes de revenir à la coutume et de bannir les pratiques occidentales. « C’est du m’as-tu-vuisme. C’est de l’exhibitionnisme, se faire voir. Nous avons notre culture. Nous sommes Africains. Pourquoi voulons-nous copier aveuglément les Occidentaux et les Américains ? Nous suivons la tendance actuelle sans repères. Et celui qui n’a pas de repères se perd. Pourquoi y a-t-il autant de divorces aujourd’hui, comparé à l’époque de nos parents et grands-parents ? Face à cet exhibitionnisme et au matérialisme criant des femmes, les mariages n’ont plus de valeur. La culture africaine est conservatrice. Elle protège et défend les valeurs familiales : solidarité, amour du prochain, éducation, respect des aînés. Le véritable mariage, c’est le mariage civil, puis le mariage coutumier. La demande en mariage et la pré-dot, ce n’est qu’un verre d’eau dans l’océan », avise-t-il.

Au contraire, Hervine Ndeke pense que cette pratique n’est pas mauvaise. Elle soutient que le geste signifie simplement que l’homme doit obtenir l’accord de sa prétendante avant d’aller plus loin. « Ce n’est pas mauvais, car cela revient à demander la permission et l’accord de sa conjointe pour savoir si elle est prête pour le mariage. Il est nécessaire de solliciter l’avis de sa partenaire. Autrefois, il y avait des mariages forcés, où tu rentrais chez toi et trouvais ta dot déjà versée, sans ton consentement, et tu étais obligée d’épouser l’homme sans nécessairement l’aimer. Avec cette pratique, on constate que chacun est libre de faire son choix, de refuser ou d’accepter la demande », a-t-elle démontré.

– Romantisme et pression sociale –

Inspirée des gestes romantiques habituels dans des films, la scène de la demande en mariage publique n’est plus confinée à l’écran. Aujourd’hui, elle est devenue une réalité notamment grâce à la toile où des images circulent à grande vitesse. Si la fin est généralement heureuse, des vidéos postées en ligne montrent aussi quelques flops : « Une jeune femme qui refuse et quitte les lieux en colère, ou une autre qui se retrouve sans voix devant son compagnon à genou et puis préfère partir devant le silence gêné de la foule ».

Derrière les sourires et l’émotion, certains se demandent si la partenaire est réellement prête à accepter cette demande sous les yeux de tous, ou si la scène ne sert pas davantage à prouver l’amour et la générosité de l’intéressé, plutôt qu’à s’assurer du véritable désir de l’engagement. Une question qui, bien que souvent mise de côté, mérite une réflexion plus poussée sur ce qui se cache derrière ce geste apparemment anodin.

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