Installé il y a peu dans la commune de Bandalungwa, l’espace “Bakeli” ne se contente pas de présenter l’art : il aspire à le faire vivre au quotidien, au cœur de la communauté. Le site est là pour changer la mentalité de la population à en croire le peintre Benoît Bafiba, son cofondateur.
Le peintre Benoît Bafiba, responsable de la galerie d’art Bakeli @Photo Droits tiers.
En offrant aux habitants un lieu de rencontre autour de l’art contemporain, la galerie d’art entend décloisonner la culture, la rendre accessible à tous et briser le monopole des élites. L’exposition “Art pour tous, tous pour l’art”, qui se tient du 7 novembre au 12 décembre, incarne cet engagement : permettre aux citoyens de se réapproprier l’art, de se reconnaître dans les œuvres exposées et de cultiver une nouvelle vision de la scène artistique congolaise.
Ouragan : Utilisez-vous l’espace Bakeli pour sensibiliser la population de Bandalungwa à l’art contemporain ? Et comment réagit-elle ?
Benoît Bafiba : La première stratégie consiste à organiser des activités. Nous sommes un espace culturel, et cela doit être notre priorité. Nous invitons la population à visiter notre espace et découvrir nos activités. Bien sûr, nous faisons du porte-à-porte, car nous sommes implantés dans le quartier. Nous affichons aussi nos visuels ici et là, et nous sommes présents sur les réseaux sociaux. Mais l’essentiel est d’organiser des événements pour sensibiliser le quartier et ses habitants. Depuis notre installation, je constate que l’espace Bakeli atteint progressivement ses objectifs. Nous recevons des visites quotidiennes, principalement de résidents de Bandalungwa et des environs, qui s’approprient peu à peu cet espace et découvrent nos activités culturelles. Je pense qu’en un, deux ou trois ans, nous aurons une communauté à Bandalungwa encore plus familière avec l’art contemporain.
Le choix de Bandalungwa comme ancrage pour cet espace culturel marque-t-il une rupture avec les traditions artistiques de Kinshasa ?
Non, il ne s’agit pas de rompre avec le passé. Nous souhaitons simplement voir d’autres lieux comme celui-ci se multiplier. Si nous détruisons ce qui a été fait avant, nous ne pouvons rien créer de nouveau. Comme on dit : « il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Nous ne voulons pas abolir les anciennes habitudes, mais plutôt évoluer. Nous espérons qu’au-delà de la Gombe, il y aura d’autres lieux pour organiser des événements culturels. Bakeli est là non pour briser les traditions, mais pour les faire évoluer, en déplaçant la culture vers des quartiers moins desservis et en offrant l’accès à ceux qui en étaient jusque-là privés.
Comment cet espace parvient-il à concilier ses ambitions artistiques avec les impératifs financiers, surtout en l’absence de soutien institutionnel ?
Nous sommes organisés en tant qu’association à but non lucratif. Nous épargnons, recevons des dons, même modestes, et les contributions des membres. Nous nous efforçons de fonctionner avec les moyens disponibles. Petit à petit, des soutiens émergent. Pour cette exposition, par exemple, nous avons cinq sponsors. Ce n’est pas encore suffisant, mais c’est un bon début. Les collaborations peuvent être financières, matérielles ou se manifester par l’organisation d’événements, ici ou ailleurs. Nous avons de nombreux projets qui nécessitent un soutien, qu’il soit financier ou matériel. D’autres centres culturels pourraient aussi coopérer avec nous pour créer ensemble.
Comment votre politique tarifaire accessible permet-elle de fidéliser une clientèle locale et de démocratiser l’art auprès des habitants de la commune ?
Nous avons pris en compte le pouvoir d’achat des habitants de Bandalungwa, notre public cible prioritaire, ainsi que des environs. Si nous voulons qu’ils se familiarisent avec l’art contemporain, nous devons attirer leur attention en rendant les œuvres accessibles. Souvent, les prix pratiqués lors des expositions peuvent être prohibitifs. Nous cherchons donc à réduire les tarifs pour que les résidents, même ceux qui ont toujours rêvé de collectionner, puissent se permettre d’acheter.
En quoi l’implication de jeunes talents contribue-t-elle à transformer la scène artistique congolaise ?
Nous accompagnons les jeunes talents qui n’ont pas toujours l’opportunité d’être représentés ou valorisés. Qu’ils soient artistes ou opérateurs culturels, nous organisons des activités pour les soutenir et les mettre en avant.
Quelle importance accordez-vous à la diversité des formes artistiques (peinture, musique, etc.) dans la mission de Bakeli de faire de l’art un bien commun ?
La diversité est essentielle. Même Dieu n’a pas créé une seule forme, mais une multitude. En tant qu’artistes, nous devons poursuivre dans cette voie. La diversité permet l’évolution. Nous avons besoin de toutes les formes artistiques (musique, arts culinaires, arts plastiques, arts dramatiques) pour pérenniser notre métier d’artiste.
Comment l’exposition “Art pour tous, tous pour l’art” pourrait-elle influencer la perception de l’art contemporain dans d’autres communautés de Kinshasa ?
Peu à peu, les gens comprendront l’importance de l’art et de la culture. Un peuple sans culture est un peuple sans histoire ni avenir. L’espace Bakeli est là pour changer la mentalité de la population, pour décoloniser les esprits. Nous voulons montrer que l’art ne se limite pas à la musique et à la danse ; il se reflète aussi dans notre mode de vie, notre manière de penser et de parler. Comprendre cela peut transformer notre communauté, et si nous réussissons à Bandalungwa, ce changement pourra s’étendre aux autres communautés. Je profite de l’occasion pour inviter tout le monde à notre exposition, qui débute le 7 novembre et se termine le 12 décembre. C’est une belle opportunité de mettre en lumière les talents de la jeunesse congolaise et de rendre l’art accessible à tous.
Comment avez-vous sélectionné les artistes pour cette exposition ?
Nous avons lancé un appel à candidatures sur Internet, puis rencontré les artistes retenus. Les critères de sélection reposaient sur la qualité des œuvres, l’approche artistique, le style, et bien sûr, le talent. Nous commençons avec ceux qui ont déjà un certain niveau pour les mettre en avant, et progressivement, nous inclurons d’autres talents.