Matadi Kibala, marchés pirates refleurissent, le danger de mort ignoré
Deux ans après le tragique accident de février 2022, qui avait causé la mort de plus d’une vingtaine de personnes suite au sectionnement d’un câble à haute tension, les marchés pirates de Matadi Kibala reprennent vie. Les produits alimentaires sont étalés à même le sol, rétrécissant la chaussée et en totale ignorance des règles d’hygiène.
Par Patrick Mputu
Matadi Kibala, le retour risqué des marchés pirates deux ans après le drame de février 2022 @Photo Ouragan.
publié le 19 juillet 2024 à 05:00:00
Les clients affluent aux mêmes endroits déclarés non aedificandi, ignorant les dangers persistants. La pagaille sur cette route menant au Kongo central devient intenable et la situation favorise de nombreux accidents sur la voie. Certains sont même installés sous les mêmes câbles électriques de la mort pourtant en mauvais état.
Curieusement, les vendeurs semblent minimiser les risques. « C’était leur moment. Nous sommes ici pour survivre. Ce qui est arrivé aux autres, Dieu en avait déjà décidé. On ne peut pas arrêter de vivre à cause des dangers », nous confie sans sourciller, une vendeuse de tomates, fataliste. Sa voisine, qui étale les patates douces, partage ce sentiment. Un peu plus loin, une autre marchande, exposant ses légumes à l’arrêt des bus de rond-point Ngaba, admet payer des policiers pour rester sur place, malgré les fréquentes tracasseries. « Nous payons les policiers pour rester ici. Même s’ils nous chassent, nous revenons parce que nous devons nourrir nos familles », s’est-elle défendue.
Aline, 35 ans, habituée du coin, explique qu’elle préfère faire ses emplettes ici parce que c’est plus rapide. « Je n’ai pas besoin d’aller jusqu’à l’intérieur du grand marché. De plus, les prix sont plus abordables », raconte-t-elle. De son côté, M. Joseph, 40 ans et père de famille, se dit conscient qu’ils ne sont pas à l’abri des répercussions néfastes. « Les marchandises sont accessibles et moins chères ici. Cela nous aide beaucoup, même si nous savons que ce n’est pas sans risques”, a-t-il laissé entendre.
Cependant, un major du commissariat de la contrée (ex-5ème bureau), sous couvert d’anonymat, approuve que ses collègues rançonnent les commerçants. Il justifie ces bavures par le manque de moyens et d’équipements. « Nos éléments commettent des dérapages, c’est vrai. Mais ils ne sont pas bien entretenus et manquent souvent d’équipements. Nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens de bord », a-t-il soutenu.
– Une situation déplorable et inchangée –
Depuis le drame de 2022, rien n’a changé. Les lieux de négoces illégaux, pourtant fermés par les autorités sous la surveillance de la police, ont repris leurs activités. Les parkings de bus allant vers le Kongo central (comme Kasangulu ou Kisantu) délocalisés sont revenus à leur endroit habituel. « C’était juste du folklore le jour de l’accident avec des décisions cosmétiques », se désole un responsable d’un dépôt pharmaceutique.
Des promesses non tenues. Le 2 septembre 2022, l’ex-gouverneur de Kinshasa, Gentiny Ngobila, avait même lancé les travaux de construction d’un marché moderne à Matadi-Kibala. Ce projet, censé répondre aux standards internationaux et servir 1 300 vendeurs, n’a montré aucun signe de progression jusqu’à son départ. « Encore une fois, c’est une promesse non tenue du régime Tshisekedi”, déplore un habitant de la cité Mama Mobutu. Le Projet d’appui aux pôles d’approvisionnement de Kinshasa (PAPAKIN) avait été mobilisé. Malgré des fonds alloués par le Fonds international pour le développement de l’agriculture (FIDA), estimés à 5 044 631 USD, aucun travail visible n’a été effectué sur le site. Les entreprises Sokerico, Dematco et SBM trading, chargées de la réalisation, restent bouches cousues sur le vrai début des travaux.
– L’urgence s’impose –
Cette situation met en lumière l’irresponsabilité des dirigeants et l’inefficacité des mesures prises. Le marché moderne promis pourrait offrir une solution durable à la commune, mais l’inaction révolte. Les commerçants et les clients s’exposent tous les jours aux accidents.
Le retour des marchés pirates à Matadi Kibala est un triste rappel des promesses non tenues et des défis constants auxquels sont confrontées les Congolais de cette contrée. Pour l’instant, l’espoir d’un avenir plus sûr et plus stable reste lointain, suspendu aux actions des autorités.
– Marché pirate, un manque à gagner pour l’Etat –
Le sujet suscite des débats parfois passionnés sur l’impact économique des activités informelles. Selon l’économiste Bénédicte Ngalula, « le marché pirate rentre dans le contexte d’une économie informelle. Bien qu’il apporte un certain soutien au marché réglementé, il constitue un manque à gagner significatif pour l’État ».
Elle explique que « dans une économie formelle, les opérateurs sont répertoriés, possèdent des documents administratifs et paient régulièrement des taxes et impôts, ce qui permet à l’État de financer les dépenses publiques et de faire tourner l’économie ». En revanche, a-t-elle martelé, « les acteurs de l’économie informelle ne sont pas répertoriés ni réglementés, privant ainsi l’État de revenus fiscaux essentiels ».
Pour remédier à cette situation, Mme Ngalula Tshisuaka propose que « l’administration congolaise simplifie et réduise le coût des démarches administratives afin d’inciter les acteurs économiques à se formaliser ». L’action permettrait non seulement d’augmenter les recettes fiscales de l’État mais surtout de mieux structurer l’économie locale, en finançant des infrastructures publiques telles que les routes ou l’éclairage.
« Le dialogue est le maître mot ». C’est ainsi que le cardinal Fridolin Ambongo a conclu dimanche, son homélie à la cathédrale Notre-Dame du Congo. Une messe particulièrement attendue, car il s’agissait de la première célébrée par le prélat depuis l’incursion du M23 soutenu par le Rwanda à Goma. « Notre nation est en danger, ne perdons pas de temps si nous voulons sauver le Congo », a-t-il éveillé, son regard scrutant la foule.
Les lignes bougent. Réunis jeudi à Strasbourg, les députés européens ont majoritairement voté la résolution sur l’agression rwandaise contre la RDC. Proposé collectivement par les groupes The Left, S&D, Renew, PPE, Verts/ALE et ECR, le texte exige la suspension de l’accord minier de l’Union européenne avec le Rwanda, le gel de l’aide militaire et le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais.