En visite au Sénégal, l’homme politique congolais Moïse Moni Della Idi est passé au journal « Le Soleil » pour, dit-il, « saluer la démocratie sénégalaise » qui s’est encore exprimée de la meilleure des manières lors de la dernière présidentielle. Nous avons saisi l’occasion pour aborder avec lui la situation politique dans son pays, la RDC.
Votre pays, la République démocratique du Congo, a tenu l’année passée l’élection présidentielle. Quelle lecture faites-vous de ce scrutin ?
Il y a à boire et à manger. Le verre est à moitié plein et à moitié vide, il s’est passé beaucoup de choses. On a parlé de la fraude massive en RDC mais aujourd’hui, je crois que tout ça, c’est derrière nous. On ne peut pas brûler la maison. On doit avancer, surtout que, dans l’est du pays, on est menacé de ce que Lumumba qualifiait déjà, en 1962, de balkanisation.
Est-ce qu’on doit continuer à nous diviser, à nous tirailler, à contester les élections ?
Non, je crois que pour l’intérêt général, on ne doit pas le faire. La politique n’a de sens que lorsqu’elle œuvre pour l’intérêt général. On considère qu’il y a un président qui s’appelle Félix Tshisekedi, il y a un Parlement, il y a un gouvernement, avec une femme Première ministre, ce qui est une première.
Qu’est-ce que ça vous fait d’habiter dans un vaste pays avec beaucoup de ressources natu- relles mais qui végète dans des soubresauts sociopolitiques depuis tant d’années ?
Vous savez, la plus grande richesse d’un pays, c’est l’homme. La RDC est le plus grand pays de l’Afrique, avec plus de 140 millions d’habitants. C’est aussi un pays qui a beaucoup de ressources naturelles. Avec la problématique du réchauffement climatique, on peut dire que c’est le pays solution.
Mais pourquoi ça ne démarre pas ?
La réponse, c’est que le problème, c’est l’homme. C’est l’homme qui a failli. Mais on ne peut pas dire que ça ne va pas marcher. Il ne faut pas être défaitiste. C’est le pays de Lumumba. C’est le pays de l’espoir. Tous les observateurs et analystes politiques savent bien que le jour où la RDC va décoller, elle va entraîner toute l’Afrique. Mais si ça ne marche pas, c’est parce que l’homme congolais a failli et ne mesure pas la grandeur de son pays.
Vous dites que le problème c’est l’homme, mais pourquoi vous ne pouvez pas faire taire les divergences entre vous, les hommes, pour le bien du Congo ?
Vous savez, lorsque, au début des années 1990, Abdoulaye Wade, ministre d’État du gouvernement du président Abdou Diouf, est venu au Congo à la rescousse pour essayer de mettre les protagonistes ensemble, il y avait l’opposition incarnée par Etienne Tshisekedi qui est mon père politique. Wade avait fait, à la fin de ce séjour, une déclaration qui est restée mémorable pour certaines personnes. Pour certains, c’était humiliant, mais c’était la vérité. Il a dit qu’il avait trouvé un pays où les hommes politiques manquent de culture politique. C’est le régime de Mobutu qui a transformé cet homme congolais et qui nous a amené ces contre-valeurs.
Est-ce que vous êtes en train de dire que les problèmes que vous vivez présentement sont les conséquences du régime de Mobutu ?
Tout à fait. Qui ne parle pas de Lumumba ? Imaginez ce que serait le Congo aujourd’hui s’il n’avait pas été tué ? En le tuant, on a tué les valeurs. Maintenant, il faut réformer l’État. Il faut investir dans l’homme congolais avant de construire le Congo. Et c’est dans la famille, la société et l’école qu’il faut d’abord réformer cet homme. L’école, c’est le prolongement de la famille. Il nous faut une école qui donne la science et la conscience. Nous avons beaucoup espéré avec l’arrivée de Félix Tshisekedi. Mais aujourd’hui, on commence à se poser beaucoup de questions sur sa façon de gouverner.
Aujourd’hui, si vous regardez le déroulement de l’élection présidentielle au Sénégal, comparée à celle congolaise, y-a-t-il une différence majeure?
Ah ! j’ai beaucoup à dire. Lorsque j’étais en France, étudiant à l’université Paris 8 où je faisais les sciences politiques, vers les années 1998, il y avait Jacques Chirac qui disait que l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie. Pire, il avait dit que la démocratie est un luxe pour les Africains. À l’époque, nous avons organisé beaucoup de conférences à la Fac pour répondre à Monsieur Chirac. Je ne me suis pas limité à ça. J’ai publié une tribune dans laquelle j’ai commencé par définir la démocratie qui est, pour moi, un régime des libertés. Or, si on prive même un animal de sa liberté, il se rebiffe. Sur la base de cette définition, Jacques Chirac nous considérait comme moins que des animaux. C’est une aberration. Je dis que la démocratie est valable en Afrique. La démocratie peut bien exister en Afrique ; d’ailleurs, il y a un pays où non seulement la démocratie existe, mais où elle prospère. J’avais donné l’exemple du Sénégal. Aujourd’hui, quand je vois ce qui s’est passé et qui se passe dans ce pays comme la passation civilisée du pouvoir, organisée, moderne, modèle, je me dis que le Sénégal est une démocratie exemplaire non seulement pour l’Afrique, mais pour le monde. Lorsqu’il y a eu des échauffourées et des tâtonnements, c’est encore, une fois de plus, le dynamisme de la démocratie sénégalaise qui s’est exprimé. Le Conseil constitutionnel a fixé la date de l’élection présidentielle et le lendemain du scrutin, tout le monde est parti au travail. Ici au Sénégal, il y a des diversités ethnico-religieuses, mais cela ne se ressent pas le jour du vote. Ici, vous ne vous en rendez pas compte. C’est pourquoi je voudrais saluer cette démocratie. Imaginez un seul instant que les choses, ici, se soient passées autrement ; c’en serait fini de l’image de la démocratie en Afrique. On aurait alors pu dire que Chirac avait raison. La démocratie sénégalaise est une richesse. Ça n’appartient plus au Sénégal. C’est une démocratie non seulement universelle, mais c’est une démocratie de la représentation miroir. C’est un concept politique de représentation miroir. Toutes les ethnies sont représentées malgré qu’il y a des diversités, c’est un exemple type, un exemple modèle. Je peux même dire que c’est un exemple académique qu’on doit enseigner à travers le monde. La démocratie du Sénégal est solide. Elle résiste par rapport au temps et c’est ce qui est extraordinaire. Dans un pays, il y a toujours des tumultes, des bagarres et des divergences. Mais le plus important, c’est de se mettre autour d’une table et trouver une solution. C’est ce que fait le Sénégal.
Pour vous donc, le Sénégal est un modèle en matière de résilience démocratique…
Bien sûr. C’est l’espoir de l’Afrique. Lorsque nous avions des problèmes au pays, c’est un Sénégalais, en l’occurrence Moustapha Niasse, qui nous a départagés. Le pays était en lambeaux. C’était à Sun City, en Afrique du Sud, en 2005. C’était après cinq ans de tiraillements. On bénéficie toujours de l’expertise sénégalaise. Donc c’est l’histoire, notre histoire. Je ne peux pas ne pas parler du panafricaniste Cheikh Anta Diop. Le Sénégal est toujours là pour démontrer que nous les Africains, nous ne sommes pas des moins que rien. Il n’y a pas de gêne à dire que nous sommes fiers de la démocratie sénégalaise. Et il faut rendre hommage à tous les acteurs qui y ont contribué malgré la tension qui était palpable : Macky Sall, l’opposition d’alors, la société civile, la presse.
Tiré du journal sénégalais LE SOLEIL