Deux nuits folles, deux nuits de tourments auxquelles Kazadi a passées à l’aéroport de N’djili, avant finalement de détaler. Bloqué le premier jour sur instruction du garde des Sceaux, l’ex-argentier a activé ses réseaux pour passer cette fois-ci entre les mailles du filet. Des agents de service auraient exécuté l’ordre venu d’en haut. De qui ? Personne n’ose piper mot. Le vrai-faux malade se soustrait ainsi de la justice sous prétexte d’aller se faire soigner à l’étranger. Une rhétorique malheureusement en vogue sous l’ère Tshisekedi.
Nicolas Kazadi, l’ex- ministre des Finances poursuivi dans le dossier Forages et lampadaires @Photo Droits tiers.
Le premier jour, il pensait quitter le pays après la levée de la mesure d’interdiction de sortie du pays qui le frappait. Mais l’ancien ministre des Finances cité à comparaître dans le cadre des enquêtes sur le dossier “surfacturation des forages et lampadaires” avait été malheureusement éconduit par la DGM. A la manœuvre, souffle un haut magistrat, le ministre de la Justice a sorti ses griffes. Mutamba a d’ailleurs tranché dans un communiqué laconique : “Toutes les personnes impliquées dans ce détournement doivent répondre de leurs actes devant le juge compétent et sans exception aucune”. Le néo-ministre a apaisé l’opinion de la détermination affichée par le président de la République de voir toutes les personnes impliquées dans le détournement des forages surfacturés de répondre de leurs actes devant la justice. “Nous suivons ce dossier de plus près. Et toutes les dispositions seront prises pour que celui qui sera reconnu auteur ou complice ne soit soustrait de poursuites”.
Mais cela n’a pas ébranlé le moral de Kazadi de foncer jusqu’au bout malgré les déboires du premier jour. Des raisons humanitaires ont été évoquées pour ouvrir le passage à une personne qui, la veille, était en bonne santé. Puis, la nouvelle tombe dimanche soir. L’interdiction visant l’ex-ministre des Finances soupçonné de détournement et corruption a été effectivement « suspendue » pour des raisons « humanitaires », tente d’expliquer une source hautement placée citée par le journaliste Mulegwa de Rfi.
Dans les rangs des organisations de lutte contre la corruption, des voix s’élèvent pour désapprouver la supercherie : “le sésame de sortie ne concerne que les justiciables VIP à qui le pouvoir donne la possibilité de s’échapper”. Le dossier “forages et lampadaires surfacturés” va ainsi stagner. Le principal suspect s’est royalement envolé avec sa femme pour la Ville Lumière ( Paris) où il va passer des vacances dorées, assène Heradi Amutaki. La justice à double vitesse a encore écrabouilllé la société. Et le chef de l’Asadho, Jean-Claude Katende de réprouver : « Nicolas Kazadi va se faire soigner et les autres Congolais sont envoyés en prison. Je savais qu’on n’allait pas envoyer un fils de famille en prison. Chacun devra tirer des leçons sur la nature de nos dirigeants ».
Après une longue passe d’armes, Nicolas Kazadi a fini par se tirer du gouffre et quitter en “prince” le pays. Ainsi, en ont voulu les décideurs d’une justice de deux poids, deux mesures. Ses co-accusés, poids mouches, croupissent à Makala mais le tout puissant financier est libre de tout mouvement. “Les tares d’une justice malade qui se moquent du peuple”, fustige Lamuka. Rien ne peut convaincre personne que la justice est impartiale, glose un activiste pro-démocratie.
Dans ce bras de fer, Nico a sorti ses muscles pour piétiner l’ordre du garde des Sceaux. Dans son for intérieur, il savait que c’était son baroud d’honneur. Diminué dans ses petits souliers avec des habits couverts de honte, il a, au finish, réussi à s’extirper. La clameur publique n’aura servi à rien. L’opinion, impuissante, a assisté médusée à une scène hollywoodienne où le “wanted” accroché à sa valise de billets verts, slalome dans la foule et disparaît. Telle une fusée qui s’enfonce dans les nuages jusqu’à s’effacer de la vue humaine.
– La saga des forages et lampadaires –
Les auditions au parquet sur le dossier “forages surfacturés” ont conduit le maître de l’action publique à placer deux des trois mis en cause à savoir l’ancien ministre de Développement rural, François Rubota et le patron de l’entreprise Silver Construct, en détention provisoire à la prison de Makala. Leur honneur a connu un sacré-coup. Dans l’entourage des présumés, l’on soutient que les deux ne seraient que des bouc-émissaires. Le patron qui a rabattu le prix là où l’autorité de régulation avait déjà bouclé le dossier et payé le prestataire, sans consulter son homologue- chef du secteur, hume l’air frais à Paris. Bénéficiant de l’immunité parlementaire, il avait déjà regagné, après l’audition, en homme libre son domicile avant de s’improviser malade et se faire autoriser à quitter le pays. Là où le bas blesse, c’est de punir les uns (Rubota et Kasenga) et laisser Nico libre. Inadmissible, a tempêté le coordonnateur de l’ACAJ, Georges Kapiamba. Dans un communiqué au ton sévère, l’activiste rappelle que “l’autorisation de sortie, accordée au ministre Nicolas Kazadi”, qui est pourtant soupçonné par la justice de surfacturation et détournement de plusieurs millions de dollars américains dans les projets forages et lampadaires, est “scandaleuse et trahi” la volonté effective de l’Assemblée nationale et du parquet général près la Cour de cassation de lutter contre la corruption sous toutes ses formes.
A haute voix, l’ACAJ accuse ces deux institutions de n’avoir pas agi, dans ce dossier que de manière à préserver l’intérêt général (lutte effective contre la corruption sous toutes ses formes). L’organisation reste préoccupée par le fait que le pays soit continuellement livré à la prédation financière et l’impunité des auteurs et complices pour des raisons politiques. Enfin, Kapiamba recommande au gouvernement et à la justice de tout mettre en œuvre pour que toute personne impliquée dans ces faits soit sanctionnée et que les fonds détournés soient récupérés et restitués au peuple congolais.
-Le feuilleton-
Le contrat date de 2022 et prévoit la livraison de plus de 1300 stations mobiles de traitement d’eau à près de 300 000 dollars la pièce. Un quart de cette somme a été décaissé en procédure d’urgence, mais pour l’heure, seules 241 stations ont été livrées. Ce qui pose problème, c’est le coût unitaire de ces stations de traitement de l’eau. L’opposant Moïse Katumbi affirme qu’une station coûte 20 000 dollars, tandis que d’autres ONG parlent de près de 25 000 dollars. En tout cas, une somme bien loin des 300 000 USD prévus par le contrat par pièce.
Principal acteur du décaissement des fonds, le ministre sortant des Finances affirme qu’il n’y a pas eu aucun détournement des fonds et nie toute implication dans une potentielle surfacturation. Les entreprises du consortium assurent, quant à elles, qu’elles poursuivent un objectif commercial, et doivent réaliser des bénéfices. Le consortium certifie avoir proposé des prix sur la base de la qualité des matériels à utiliser pour les travaux, et que les montants ont été acceptés par le gouvernement.
Pressée par la société civile, la justice avait ouvert une information judiciaire, alors que le pays a déjà payé près de 72 millions de dollars au consortium de fournisseurs, dont fait partie une entreprise camerounaise, Stever Construct Cameroun Sarl. Le bureau technique de contrôle avait été même réquisitionné pour collecter les données.
Dans les faits, le PG de la Cassation a décelé les indices de surfacturation. “Ayant relevé que le coût retenu dans le contrat précité était très élevé, le ministre des Finances Nicolas Kazadi avait invité le ministre du Développement Rural, François Rubota Masumbuko, à négocier avec le consortium pour revoir à la baisse ledit coût”, avait écrit le PG Firmin Mvonde dans sa correspondance adressée au bureau de la Chambre basse du Parlement.
Le magistrat Mvonde explique que “suite à des négociations intervenues entre Mike Kasenga Mulenga et François Rubota Masumbuko, le consortium s’est engagé à augmenter le nombre des stations d’eau de 340 et de porter ainsi le total des unités à installer à 1340 sans diminuer le coût initial du contrat”. Le maître de l’action publique a rappelé que bien qu’ayant constaté la surfacturation des forages, après les négociations survantées, « l’ex-ministre des Finances, Nicolas Kazadi a reconnu, au cours du briefing de presse tenu par le ministre de la Communication et médias le mercredi 24 avril 2024, avoir payé la somme de 71 000 000 USD pour l’installation de 241 stations d’eau, soit 294 605 8 USD par forage, apparemment en l’absence de tout élément d’évaluation technique pouvant lui permettre de connaître le coût réel de chaque station d’eau ».
– Les poursuites autorisées –
Samedi 15 juin 2024, l’Assemblée nationale a autorisé le PG Firmin Mvonde à ouvrir une instruction judiciaire à charge de l’ancien argentier national, élu député national de Miabi au Kasaï oriental, aux législatives de décembre dernier. Le 27 avril 2024, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde avait saisi la Chambre basse par un réquisitoire, aux fins d’obtenir l’autorisation d’instruction à charge du ministre des Finances, Nicolas Kazadi, pour l’infraction de détournement de deniers publics.