Agés pour la plupart de 13 à 30 ans, des jeunes kinois ont trouvé dans le métier de cireur de chaussures un moyen honorable de survie, au milieu du chômage persistant qui pèse sur la ville de 12 millions d’habitants. Certes, quelques-uns témoignent de la rentabilité de cette activité, mais les défis liés à la formation se dressent devant eux comme des obstacles à surmonter.
Un cireur de chaussures en plein travail. @Photo Droits tiers.
À Bruxelles, en Belgique, European shoe shine association (ESSA) propose, par exemple, aux futurs cireurs un programme de formation, dont le but est de pouvoir démarrer son activité professionnelle, d’obtenir une satisfaction totale de la clientèle et ainsi d’atteindre la réussite économique.
À Kinshasa, ces entrepreneurs de rue, sans aucun apprentissage professionnel dans ce domaine, utilisent leur débrouillardise pour prospérer. Derrière chaque lustrage de chaussures se cache un besoin crucial : forger un avenir radieux et augmenter les revenus.
D’ailleurs, ils font partie de ceux qui se lèvent tôt pour aller à la recherche de leur pain quotidien. À 5 heures déjà, ils envahissent les rues de la capitale. La plupart d’entre eux habitent dans les quartiers périphériques de Kinshasa. « Il n’y a pas un sot métier, il n’y a que des sots gens », rappelle en lingala Henock Mayinzambi, un jeune cireur de chaussures de 16 ans qui habite au Camp-Luka, un quartier défavorisé à l’ouest de la capitale.
Sa principale cible, ce sont d’abord les élèves, ensuite les étudiants et les enseignants avant le début des cours. Et ce, en attendant que les fonctionnaires de l’État et d’autres employés se pointent à leurs lieux de travail respectifs. D’autres cireurs disposent de deux catégories de clients : les clients d’honneur, c’est-à-dire ceux qui paient plus que le montant exigé. Ils encouragent, à travers leur geste, ces jeunes. La seconde catégorie, ce sont des clients normaux, ceux qui paient le tarif normal fixé, qu’il s’agisse des élèves ou des enseignants. Une clientèle fidèle.
– Devenir pilote –
Il exerce son métier sur l’avenue de Libération (ex-24 novembre), non loin du pont Mandela. Posté là depuis 6 h, muni de ses affaires composées d’un sac au dos, d’une brosse à cirage en main, d’une boîte de cirage et d’un morceau de bois servant de repose-pieds, Mayinzambi est à la quête des potentiels clients. Il s’agit principalement des étudiants de l’Institut supérieur pédagogique de la Gombe (ISP Gombe) et ceux qui vont au centre-ville pour travailler. Heureusement pour lui, sa journée a bien commencé. Quelques clients se sont fait cirer les chaussures. “Tous les jours, ce n’est pas comme ça. Aujourd’hui, je peux espérer avoir un bon chiffre. Mais d’habitude, à la fin de la journée, j’ai au moins 15 000 FC. Donc ça paie bien”, dit celui qui n’était pas destiné à faire ce métier si son père n’avait pas cassé la pipe lorsqu’il était en 5e primaire. “La famille de mon père a dépouillé ma mère de tout ce qu’elle possédait. Elle était sous le choc pendant plusieurs années. C’est ainsi que j’avais décidé de devenir cireur pour aider aussi ma famille, comme mes autres grands frères le faisaient”, ajoute-t-il. Avant la mort de son père, il rêvait de devenir pilote. Un rêve qui, aujourd’hui, n’effleure même plus son esprit.
– Itinérance –
Contrairement à Henock, d’autres débrouillards ont carrément choisi l’itinérance, comme le cas de Kevin Kalombo, 26 ans, qui sillonne les communes de Kintambo, Bandalungwa, Ngiri-Ngiri pour offrir à ses deux enfants à manger. “J’ai des clients sûrs qui me permettent de constituer une belle somme à la fin de la journée. Cet argent me donne la possibilité d’offrir à mes enfants ce qu’on ne m’a pas donné”, avoue celui qui est aussi cordonnier. Lui n’a jamais fréquenté l’école faute d’avoir grandi dans une famille nombreuse (7 enfants) dont les parents ne pouvaient pas assurer la scolarité de tout le monde au regard de la situation financière.
En arpentant les artères, ces “courageux” produisent des sons répétitifs à l’aide de deux bois qui sont entre leurs doigts qu’ils tapent l’un contre l’autre. Mais aussi, ils alertent les clients en criant : “cirage yango oyo” (Entendez : voici le cirage pour mettre sur vos chaussures). Ces techniques ne manquent pas d’attirer l’attention de ceux qui veulent faire briller les souliers.
– Le prix a augmenté –
Avant la hausse du dollar, les clients payaient entre 200 ou 300 FC. Ce qui n’est plus le cas. Aujourd’hui, ils doivent débourser entre 500 ou 1000 FC. “On n’a pas de choix. Quand le dollar augmente, nous aussi, on majore le prix. Ce n’est pas pour rien”, relate Henock. Malgré cela, ils gagnent plus que ce qu’ils dépensent pour acheter une boîte de cirage. “Le prix d’une boîte revient actuellement à 1500 FC. Si je l’utilise bien, je peux obtenir une belle somme de 30 000 Fc”, ajoute-t-il.
– Non à la délinquance, à la mendicité… –
La plupart des jeunes qui exercent ce métier ne sont pas scolarisés. D’autres ne vivent plus sous le toit parental, mais dorment à la belle étoile. Au lieu de voler, de mendier ou de verser dans la délinquance, ils gagnent honnêtement leur vie, parfois sous un brûlant soleil. Deuxième d’une famille de cinq enfants, Éric Ngyulu scolarise ses deux jeunes frères ainsi que sa sœur cadette. “Je suis fier de voir comment mes petits frères évoluent. Ils sont brillants et cela m’encourage à bosser dur. Ma mère nous nourrit grâce à son petit commerce parce qu’elle vend de la farine de maïs et de manioc ainsi que d’autres produits de première nécessité, pendant que je m’occupe de la scolarité de mes frères et de ma sœur”, a-t-il confié, sourire aux lèvres.
Pour lui, les jeunes qui se livrent au banditisme urbain lui font pitié. “Grâce à ce métier, je suis financièrement indépendant. Contrairement à d’autres garçons, je suis plutôt satisfait du fait que je m’organise à la sueur de mon front”, a-t-il souligné.
Cependant, Éric Ngyulu affirme également avoir des clients qui lui permettent de constituer une belle recette chaque jour, mis à part les autres personnes.