Depuis des temps immémoriaux, le pagne s’est imposé comme l’élément de base de l’habillement des femmes en Afrique subsaharienne et particulièrement en RDC. Au Congo, la colonisation belge avait imposé à la femme noire l’usage du pagne pour cacher son « impudique nudité ». Plus tard, au nom de l’authenticité, Mobutu imposera lui aussi à la Zaïroise le port exclusif du pagne afin de respecter l’intégrité de la maman.

Autrefois symbole de fierté et d’identité, le pagne perd peu à peu sa place dans le quotidien des femmes congolaises profit de vêtements occidentaux. “Le pagne fait partie de notre héritage culturel. C’est un symbole de notre identité en tant que peuple congolais. Triste de voir de moins en moins de femmes le porter”, s’est inquiétée Nzuzi Mabiala, une habitante de la commune de Lemba.

Au-delà de son aspect esthétique, le pagne revêt une signification sociale et symbolique profonde. Il est souvent porté lors des cérémonies spéciales telles que les mariages, les manifestations traditionnelles et les événements communautaires. Le déclin de sa popularité représente donc une perte non seulement esthétique mais aussi identitaire.

– Entre tradition et modernité –

Comme le 8 mars de chaque année, le pagne demeure l’étoffe incontournable pour les femmes. Il règne en maître dans les artères, bureaux et foyers. Hélas, cette tradition prend une tournure controversée, avec des jeunes filles qui adoptent des styles qui défient les normes culturelles et suscitent le débat.

Des modèles sexy (audacieux) aux mini-jupes suggestives, en passant par les dos nus osés. Bref, une pléthore de looks qui exhibent les parties intimes de leur corps alors que cette journée est censée célébrer les réalisations des femmes et leur lutte pour l’égalité.

Les jeunes femmes cherchent à s’approprier cette tradition ancestrale d’une manière moderne appelée : “Ki Lelo” (entendez : monde actuel) malheureusement ça dérange et énerve les us. “Pour beaucoup, c’est une manifestation de liberté et d’émancipation, une façon de célébrer la féminité sans tabou, ni restrictions. Mais ces styles dénaturent déjà la signification profonde du pagne, qui est avant tout un symbole de dignité”, déplore Sandra Kabedi, cheffe d’un groupe de jeunes de la paroisse Sainte Thérèse dans la commune de N’djili.

– Regret et nostalgie d’une mère –

Dans la douceur de sa voix empreinte de souvenirs, Maman Albertine Kayumba se remémore les jours où elle enseignait à ses filles l’art délicat du pagne. Assises ensemble, elles tissaient des liens familiaux tout en confectionnant des pièces uniques, imprégnées de savoir-faire ancestral. Cependant, au fil des années, elle a observé un changement subtil mais significatif de mentalité. Ses filles, autrefois captivées par les récits de tradition et d’histoire africaine, ont peu à peu perdu leur intérêt pour cet héritage culturel.

À mesure qu’elles grandissaient, elles ont préféré se conformer aux tendances vestimentaires modernes, reléguant le pagne au rang de souvenir du passé. “Je leur ai appris à manier l’aiguille avec soin, à choisir les motifs avec attention, mais aujourd’hui, tout cela semble s’effacer. C’est comme si une partie de notre identité disparaissait avec chaque génération. C’est la perte d’une connexion profonde avec leurs racines, une rupture avec un héritage transmis de génération en génération”, a-t-elle regretté.

Les t-shirts minuscules et courts ou les jupes qui peuvent être portées avec des jeans délavés sont plus privilégiés par la gent féminine. “Nos filles rejettent tout pour se conformer à l’habillement de nos jours. Aujourd’hui, l’accoutrement des jeunes filles est influencé par les occidentaux avec l’avènement des réseaux sociaux et les stars de la mode, au détriment du textile traditionnel comme : Super wax, Hollandais, Vlisco que nos mères portaient dans les années antérieures”, souligne-t-elle.

Avec une lueur d’espoir dans les yeux, Albertine dit continuer à enseigner à ses petites-filles les secrets du pagne, dans l’espoir que cette flamme de tradition brillera à nouveau dans le cœur des générations futures.

– Écoles et universités –

Le constat est pénible. Dans les milieux estudiantins, la majorité des jeunes filles ne portent pas de pagne, elles sont vêtues en pantalon jeans la plupart du temps. Sauf, dans des circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire si un professeur conditionne la présence à son cours par le port du pagne (considéré comme tenue de ville) ou pendant les défenses de fin de cycle.

Dans des écoles, les élèves ne recourent au pagne que le 8 mars en marge de la célébration de la journée internationale des droits des femmes lorsque l’école organise une manifestation. “S’il y a d’autres activités telles que la journée culturelle ou l’anniversaire de l’école, chacun porte les habits qu’elle préfère, tu verras rarement les pagnes”, déplore un enseignant du collège Bonsomi à N’djili.

– Pagne et pantalon –

La jeunesse kinoise se trouve à la croisée des chemins entre pagne et pantalon. Selon les jeunes, le pantalon est plus économique, vous donne une certaine aisance pour prendre un bus. Tandis que le pagne coûte très cher et implique toute une série de comportements, une démarche et une attitude différente, selon une étudiante de l’université de Kinshasa, qui est étrange au siècle actuel.

“En réalité le vrai problème n’est pas de porter un pagne ou un pantalon, mais plutôt de s’habiller convenablement et confortablement avec un vêtement qui donne de la valeur. Bien que l’usage de pantalon soit récurrent, cela ne doit pas faire oublier la valeur que la pagne occupe dans notre culture, sans pour autant tomber dans les futilités”, a expliqué Merveille Nkenge, couturière évoluant à Debonhome dans la commune de Matete.

L’entrepreneure a ajouté que les modèles ou styles de pagne que les jeunes filles affectionnent ces cinq dernières années proviennent à 80% des réseaux sociaux. “Les catalogues sont actuellement moins consultés à cause de la vitesse de la technologie. Les jeunes filles ont souvent l’habitude de prendre les modèles en capture qu’elles voient chez leurs amis ou connaissances pendant le mariage ou une activité quelconque pour les amener auprès des couturières”, a-t-elle témoigné.

– Identité culturelle –

Le pagne est conçu en signe de souvenir des tissus anciens des ethnies traditionnelles confrontées aux influences que la RDC a subies, sur les plans technologique, culturel, à travers les routes du commerce et la colonisation belge, que le pays est arrivé sur le point d’adopter ce rectangle de tissu imprimé qu’on utilise aujourd’hui. Lequel est aussi important à couvrir le corps des hanches aux genoux ou aux pieds.

Soumis à différents codes dans la façon de l’attacher, le pagne est également destiné à de multiples usages : porte-bébé, couverture, etc. Par ailleurs, il est devenu aussi, dans l’imaginaire du peuple, un instrument de transmission de messages, proverbes, motifs particuliers, convictions politiques ou religieuses. C’est ainsi qu’au fil de temps, des méthodes de plus en plus élaborées de confection des textiles ont permis de produire la pièce de coton de couleurs imprimées répandue sur le continent africain.

Au-delà de ces techniques, il se dégage tout un tableau mettant en exergue l’histoire du pagne, les particularités de son utilisation, la signification des dessins qui ornent et aussi les genres stylistiques qui le caractérisent. Par les phénomènes migrations, la femme congolaise notamment kinoise résidant à Bruxelles, a fait de la porte de Namur (quartier Matonge à Bruxelles) la plaque tournante du commerce et de la promotion du pagne en Europe afin de contribuer à l’élargissement de notre culture à l’étranger.

Des grands noms de la musique congolaise à savoir Tabu Ley ont énormément joué un rôle judicieux à l’expansion de la culture avec des tubes comme “Mon mari est capable” qui a suscité un attachement au pagne à une autre dimension. Si le Congolais a principalement adopté le costume européen au détriment de l’abacost (ce costume à manches courtes que portait l’ancien président Laurent-Désiré Kabila), la femme par contre manifeste très souvent son élégance et sa réussite sociale par le port du pagne.

Simple pagne porté par les femmes africaines au départ, le tissu wax est même devenu en l’espace de quelques années une étoffe tendance des podiums de mode. Ce tissu aux couleurs criardes ne cesse de faire des adeptes du côté de l’Atlantique avec des stars s’entichant de cette mode dite ethnique.