Avec sa forte croissance démographique, le Congo-Kinshasa subit plusieurs épidémies. Il s’agit principalement de l’Ebola, le choléra, le Covid-19 et autres. Cette situation contraint le pays à avoir beaucoup plus besoin d’experts en santé publique. Donc, la formation des experts du secteur s’avère indispensable. Voilà pourquoi pour pallier ce vide, Bobette Matulonga a créé l’École franco-congolaise de hautes études de santé publique (EFCSP).
Docteur Bobette Matulonga, fondatrice de l’École franco-congolaise de hautes études de santé publique @Photo Droits tiers.
Professeur à l’université protestante du Congo (UPC) et à Paris-Saclay en France, Bobette Matulonga est l’initiatrice du programme « Master santé publique ». Dans un entretien exclusif à Ouragan, l’experte en santé publique (branche épidémiologie) a expliqué l’importance et les innovations apportées par l’École franco-congolaise de hautes études de santé publique (EFCSP). Un de ses projets ayant abouti avec succès.
Ouragan : Pouvez-vous brosser en quelques lignes le programme « Master santé publique » ?
Bobette Matulonga : C’est un programme de formation en santé publique de niveau master et doctorat. Il y a le master 1 et le master 2. Le master 1 a ouvert ses portes en octobre 2023. Actuellement, les étudiants viennent de finir le premier semestre, et ils sont en train de passer les examens. Le master 2 va ouvrir l’année prochaine et l’année d’après, on ouvre le doctorat. C’est un nouveau modèle de collaboration bilatérale qui n’a jamais existé au Congo. Dans ce programme de formation, nous avons les étudiants qui sont pour la plupart des médecins, et dont les professionnels de santé. Ils suivent les cours ici à Kinshasa et également à Paris. 50 % des cours sont dispensés par les professeurs congolais, et 50 autres par les professeurs français. Les cours dispensés par les professeurs congolais se font ici en présentiel dans les locaux de l’université protestante du Congo (UPC) et les cours dispensés par les professeurs français se donnent directement en ligne en même temps que les étudiants à Paris à travers un grand écran. Toutes les six semaines, les étudiants sont invités à Paris pour suivre les cours pendant deux semaines, on appelle ça le « regroupement ». Cette séance de regroupement leur permet de rencontrer physiquement leurs professeurs, mais également leurs collègues étudiants français. Après leur séjour en France, les étudiants reviennent à Kinshasa et continuent de suivre les cours avec les professeurs congolais et huit semaines après, ce sont les enseignants français qui se déplacent à Kinshasa, toujours dans le but de faire une révision des séances en présentiel.
Quels sont les principaux objectifs du programme « Master santé publique » ?
Les objectifs sont de former des experts en santé publique aux normes internationales. On sait que la plupart de nos professionnels de santé qui sont formés dans nos écoles de santé publique ici à Kinshasa ou ailleurs dans le pays, complètent toujours leur formation à l’international, en faisant des écoles d’été et d’autres formations supplémentaires pour acquérir un niveau élevé. À travers cette formation, nous apportons donc l’information internationale directement ici au pays. À l’issue de la formation, les étudiants ont un diplôme à part entière de l’université Paris-Saclay, et un autre diplôme de l’université protestante du Congo. Et donc l’objectif pour nous, est d’apporter de nouveaux experts en santé publique au Congo. Il faut dire que la RDC connaît beaucoup de problèmes en santé publique avec plusieurs épidémies, notamment l’Ebola, le choléra, le Covid-19 et autres. Et donc le pays a beaucoup plus besoin d’experts en santé publique sur le marché.
Selon nos informations, la formation devrait durer 2 ans et la 1re promotion a débuté en 2023. Quelle est sa particularité ?
Déjà cette première promotion est pour nous, une promotion pilote qui va nous donner un peu l’image du niveau de nos étudiants congolais, parce qu’il faut dire qu’ils ont exactement les mêmes enseignements que les étudiants français, ils passent les mêmes examens, et donc on doit avoir le même niveau des résultats et le même taux de réussite avec les étudiants français. Donc, nous attendons que nous puissions avoir le niveau requis pour que nos étudiants formés soient compétitifs sur le marché de travail.
Comment le programme intègre-t-il les aspects pratiques et les stages afin de préparer les étudiants à relever les défis concrets de la santé publique ?
Déjà au mois de février, les étudiants vont passer le stage. Cette formation est mixte, c’est-à-dire qu’ il y a aussi une partie professionnalisante. Nous leur apprenons beaucoup les méthodologies de recherche et à la fin de leur formation, ils peuvent directement être employables dans les organismes de santé publique, tout comme ils peuvent continuer en doctorat. C’est pourquoi on parle d’une formation mixte. En master 1, les étudiants ont deux mois de stage où ils vont sur le terrain, dans les organismes de santé publique pour voir ce qui s’y passe et vont produire un mémoire. En master 2, on a seulement deux mois de cours et six mois de stage. Là, ils intègrent vraiment le milieu professionnel, ils y travaillent et produisent de vrais résultats de professionnels de santé publique.
Quelles opportunités offre le programme aux étudiants en termes de recherche appliquée et de participation à des projets innovants dans le domaine de la santé publique ?
D’abord en tant que tel, notre modèle pédagogique est innovant. Nous faisons intervenir une collaboration bilatérale avec les déplacements des professeurs français et des professeurs congolais. Toujours dans cette collaboration, des enseignants congolais sont invités en France pour partager avec les étudiants parisiens leur expérience dans la gestion des épidémies. Et donc les professeurs de Paris viennent à Kinshasa, ceux de Kinshasa et les étudiants vont à Paris. Pour l’instant, nous n’avons pas encore des étudiants parisiens qui viennent à Kinshasa, mais c’est également prévu dans le programme. À l’issue de cette formation, nos étudiants peuvent poursuivre en doctorat, et le doctorat, c’est la recherche biomédicale, et cela va apporter un nouveau souffle à la recherche scientifique qui est très peu développée ici en République démocratique du Congo.
Comment le programme s’adapte-t-il aux évolutions actuelles du domaine de la santé publique, notamment en ce qui concerne les pandémies, les inégalités en matière de santé et les nouvelles technologies de la santé ?
Premièrement, il y a le contexte, il y a aussi les nouvelles technologies, ainsi que la gestion des pandémies. Dans la contextualisation, comme je vous ai dit 50% des cours sont enseignés par les professeurs congolais et 50% par les Français. Donc la partie enseignée par les professeurs congolais, c’est plus les cours qui ont un rapport avec notre contexte local, c’est-à-dire, la compréhension du système de santé, le droit à la santé, et l’économie de la santé. Parce que si un étudiant va en France, il va étudier l’économie de la santé de la France qui n’a rien à voir avec le système congolais. Avec notre système, les étudiants sont formés aux normes internationales pour une application ici au Congo. Bref, un apprentissage international avec un contexte local. Avec l’intervention des nouvelles technologies de l’information et de la communication, nos étudiants à la rentrée reçoivent chacun un ordinateur portable qui leur appartient. Avant la rentrée académique en octobre, ils ont ce qu’on appelle, la pré-rentrée en septembre. Ils sont formés pendant deux semaines aux nouveaux outils de l’information et de la communication, notamment le Microsoft Word et Office PowerPoint. L’idée, c’est de les mettre à niveau pour qu’ils soient au même niveau que les étudiants parisiens. Mais aussi 50% des cours sont suivis par visioconférence, et donc les étudiants doivent être en mesure de gérer le matériel numérique.