Dans l’est de la RDC, le nombre des victimes de violences sexuelles connaît une forte augmentation depuis la reprise des hostilités par les terroristes du M23 soutenus par l’armée rwandaise, provoquant ainsi les déplacements massifs des populations fuyant les affrontements entre l’armée congolaise et les insoumis. Ces déplacés sont ballottés au gré des violences dans des zones où des hommes armés, militaires comme miliciens, les rackettent ou les agressent.
Linda Bauma, activiste des droits des femmes. @Photo Droits tiers.
Activiste des droits de femmes et avocate au barreau du Nord-Kivu, Linda Bauma s’est exprimée à cœur ouvert à Ouragan, décrivant le calvaire que vivent les femmes et jeunes filles dans des camps de déplacés de Rusayo, Kanyaruchinya et tant d’autres autour de Goma.
Figure tutélaire de lutte contre les violences faites à la femme, elle a déroulé le récit d’une vie de violence, de grossesse, de coups de poing et de misère dont font quotidiennement face les femmes de l’est.
Ouragan : Quels sont les principaux défis auxquels les femmes de l’est sont confrontées dans les camps de déplacés ?
Linda Bauma : Les défis sont nombreux. Premièrement, il y a un problème d’ installations, depuis un an, plusieurs personnes vivent dans des abris de fortune construits avec des bâches et non adaptés pour accueillir des familles nombreuses. Deuxièmement, ce sont des difficultés liées à la nourriture. Il y a une insécurité alimentaire croissante dans tous les camps de déplacés, malgré l’aide humanitaire qui demeure en ce moment insuffisante. Il se pose aussi le problème de violences sexuelles. Lorsque les femmes sortent de camps pour aller chercher à manger, elles sont souvent voilées. À cela s’ajoute la question de l’hygiène menstruelle qui n’est pas du tout prise en compte, selon les témoignages que nous avons reçus de plusieurs femmes et jeunes filles.
Comment la guerre a-t-elle impacté la santé physique et mentale des femmes dans cette région ?
En parlant de la santé mentale, je pense que ces femmes sont toutes traumatisées par les situations dans lesquelles elles vivent. Déjà du fait de ne pas être chez soi, ne pas savoir où nous allons, ça laisse des traumatismes. Quant à la santé physique, les agressions sexuelles laissent des séquelles, et il y a aussi des femmes qui ont reçu des balles, à l’instar d’une dame que nous avons rencontrée et dont j’ai oublié le nom. Alors qu’elle portait son enfant sur la poitrine, une balle a touché le bébé avant d’atteindre le bras de sa mère. Des tels cas, nous les avons beaucoup rencontrés, des hommes et femmes qui vivent avec des balles dans les corps.
Les femmes font-elles face à certains obstacles pour accéder aux services de santé et de soutien psychosocial ?
Les obstacles sont nombreux, mais il y a plusieurs organisations humanitaires qui œuvrent dans ce sens, dont Médecins sans frontières (MSF) avec ses partenaires. Elles font des efforts pour aider les victimes, mais cela reste insuffisant vu les multiples besoins. On a plusieurs camps de déplacés autour de la ville de Goma, et même si nous avons une structure humanitaire, cela ne suffira pas. Il aurait été mieux si l’État congolais avait un service de santé gratuit à toutes ces personnes déplacées et affectées par des maladies, parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers pour payer les frais d’hôpital. Sans l’intervention des organismes internationaux, il est très difficile aux personnes déplacées de tenir en cas de soucis de santé.
De quelle manière la guerre a-t-elle affecté l’éducation et les opportunités économiques des femmes de l’est de la RDC ?
Selon les statistiques, 232 écoles ont été fermées et 19 structures sanitaires détruites dans les zones de conflits. Avec ces chiffres, nous pouvons comprendre que beaucoup d’enfants ne vont plus à l’école. Il y a des jeunes dans le camp de Bulengo par exemple, qui disent vouloir reprendre les études, mais la situation sécuritaire qui ne cesse de se détériorer les en empêche, et donc nous aurons dans les jours à venir, une partie de la jeunesse congolaise qui n’aura pas étudié, et ça va être un frein au développement du pays. La guerre a aussi impacté le secteur économique puisque les légumes, les poissons et les pommes de terre qui provenaient du territoire de Rusthuru pour alimenter la ville de Goma, ne peuvent plus être acheminés en raison de l’activisme du M23 dans la région. En revanche, c’est le Rwanda qui en profite en exportant ses produits vers la RDC. Dernièrement, les bombes du M23 ont endommagé les poteaux électriques qui amènent le courant à Goma, et là aussi c’est un problème sérieux parce que c’est Virunga qui fournit l’électricité dans une grande partie du Nord-Kivu. Cette guerre nous l’avons sur plusieurs fronts et elle est en train d’impacter négativement beaucoup de citoyens.
Quelles actions sont -elles nécessaires pour soutenir et autonomiser les femmes affectées par la guerre dans cette région ?
Je pense qu’on ne peut pas autonomiser les femmes dans les camps de déplacés. Le plus important, c’est de les ramener chez elles afin qu’elles puissent reprendre leurs activités quotidiennes. En étant dans les camps, elles ne peuvent pas faire normalement des activités commerciales. Donc, il est difficile de parler de l’autonomisation à ce stade, du moins il y en a qui vendent les petites marchandises devant leurs tantes, d’autres confectionnent des vêtements avec des machines à coudre. J’ai rencontré des femmes qui vendaient du bois, des légumes et de la farine, chaque femme essaie tant soit peu de se débrouiller à sa manière pour vivre, et c’est très encourageant, puisqu’elles se disent que malgré la guerre, on ne lâche pas. Tout ce qu’on peut faire actuellement, c’est soutenir ces femmes dans leurs petites économies.
Propos recueillis par Rich Ntumba