Barranquilla se veut la vitrine d’un nouveau dynamisme en Colombie, avec de rutilantes infrastructures et une économie prospère. Mais c’est aussi l’hégémonie d’un clan, du clientélisme et de l’achat de votes, où l’issue de la municipale de dimanche ne fait aucun doute.
Vue aérienne de Puerto Berrio, Colombie le 21 octobre 2023. – Au bord du fleuve qu’il a navigué avec un fusil et camouflé, le pasteur Alape mise désormais sur la démocratie. Armé de fleurs blanches et à vélo, il fait campagne en tant que premier ancien commandant de la guérilla des FARC à se lancer dans la course électorale en Colombie @Photo de Daniel Muñoz / AFP.
Barranquilla, “c’est une réalité à deux visages”, résume à l’AFP Marco Orozco, ancien aspirant à la mairie de cette ville d’1,4 million d’habitants qui a vu naître la star de la chanson Shakira.
Sur la mer des Caraïbes, non loin de la touristique Carthagène, la quatrième plus grande ville du pays est aussi connue à l’étranger pour son carnaval, le second d’Amérique latine après celui de Rio.
Pas de plages de sable blanc ici, mais les eaux sédimenteuses du Rio Magdalena, fleuve majeur sur lequel naviguent tankers et porte-containers, le long de marécages où veillent les caïmans.
Barranquilla “c’est un écosystème stratégique, à la fois économique et culturel”, assure à l’AFP son maire Jaime Pumarejo, 42 ans.
Plusieurs projets réalisés ces dernières années font la fierté de la ville dont un immense centre de conférences et une promenade aménagée le long du fleuve.
– “Le clan Char” –
Mais Barranquilla c’est aussi l’histoire d’une hégémonie, celle des Char: une famille d’entrepreneurs qui exerce une longue domination.
Chaîne de supermarchés, réseau de radios, la populaire équipe de foot locale Junior, une banque et d’innombrables biens immobiliers… Selon le magazine Forbes en 2020, elle figurait parmi les dix plus grosses fortunes de Colombie.
Déjà deux fois maire par le passé, gouverneur, l’aîné de la fratrie Alejandro Char, parrain et allié de l’édile sortant, est de nouveau face aux électeurs.
“Je reviens car les gens me le demandent”, a justifié celui qui se fait appeler “Alex”. Sourire aux lèvres, casquette de baseball vissée sur la tête, l’homme se dirige tranquillement vers son troisième mandat de maire, sans avoir besoin du moindre débat, interview ou grand meeting. Seules quelques publications sur les réseaux sociaux, relaient ses visites dans les quartiers, serrant des mains, embrassant des enfants.
Directement ou via ses alliés, le clan Char contrôle la mairie, le gouvernement local, a une large majorité à l’Assemblée régionale et six membres au Parlement national.
Pour Estefania Montoya Dominguez, chercheuse à l’université nationale, ce clan sait que le pouvoir politique est une “excellente entreprise” qui permet d’avoir le contrôle sur “les contrats qui sont passés, avec qui, et de recevoir des pots-de-vin”.
Le groupe de réflexion indépendant Mision de Observacion Electoral dénonce un réseau d’achat de votes pour lequel Arturo Char, l’un des frères d’Alex et ancien sénateur, a récemment été arrêté pour son implication présumée en 2017.
Alex Char a décliné un entretien avec l’AFP et M. Pumarejo nie ces pratiques : “Les habitants de Barranquilla constatent que leur ville est sur la bonne voie et c’est pourquoi ils soutiennent un processus qui a commencé il y a 16 ans dans les urnes”.
– Un “coeur noble” –
Pour la journaliste Laura Ardila, qui vient de consacrer un livre (“La Cosa nostra”) au “clan Char”, celui-ci est “l’une des machines politiques les plus puissantes de Colombie”.
Il “mélange ses activités à une certaine efficacité dans le domaine public. D’où une grande popularité, née également d’une proximité avec la culture populaire colombienne. Tout cela se mêle aux pratiques de clientélisme, à des relations avec des réseaux criminels et des personnes condamnées, et à la pratique de l’achat de votes”, note-t-elle.
Mais pour la grande majorité des habitants, peu importe: Alex est “un coeur noble, un homme du peuple“, clame Carola Canizalez, 60 ans, une habitante du quartier populaire Rebolo.
Cette bonne image a coûté une fortune. Entre 2020 et 2022, la mairie a investi un peu plus de 22 millions de dollars en publicité dans les médias, selon la Fondation pour la liberté de la presse (FLIP).
– “Nouveau paradigme” –
Alejandro Castelblanco est le patron d’un bar sur la promenade réaménagée. Les touristes sont là, son affaire marche. “La ville est sûre, bien organisée, avec de bonnes infrastructures”. “Au final peu importe qu’un clan domine la ville. Ce sont des entrepreneurs, ils amènent de l’argent”, poursuit-il.
Les voix discordantes existent cependant. “Ils s’en foutent des pauvres”, maugrée un charpentier de Rebolo, qui vit près d’un canal encombré d’ordures et raconte les 70.000 pesos (16,5 dollars) qu’on lui a donné pour voter Char. “Moi, je prends l’argent et je vote pour qui je veux”, rigole le vieux briscard.
“Avant, à Barranquilla, les maires volaient (l’argent public), sans rien faire pour la ville. Ce nouveau pouvoir continue de voler, mais il agit. C’est le nouveau paradigme”, décrypte M. Orozco, notant que “sous influence, les médias locaux n’offrent aucun espace pour une voix dissidente”.
Par Hervé BAR/Afp