Transféré au parquet de grande instance de la Gombe, le journaliste Stanis Bujakera a été placé lundi soir sous mandat d’arrêt provisoire. Le chemin de la prison s’ouvre ainsi pour le journaliste professionnel qui vit le calvaire pour un article qu’il n’a jamais signé.
Stany Bujakera, le journaliste arrêté prétendument pour propagation de faux bruits. @Photo Droits tier.
L’arrestation de “Bujak” suscite une vague de condamnations à travers la planète. Elle indigne et soulève tant de réactions aussi bien dans les milieux politique, diplomatique que des médias. À sa troisième journée de détention, les dés ont été jetés. Après trois nuits passées en détention à l’inspection provinciale de la police de Kinshasa, Bujakera a été transféré au parquet de la Gombe où il a été placé sous mandat d’arrêt provisoire. Ce pourrissement de la situation renforce l’inquiétude d’une presse libre en RDC et éloigne ainsi la libération du correspondant de Jeune Afrique. Son magazine était déjà très inquiet à son sujet en apprenant les nouvelles de son arrestation. “Notre confrère, dont les téléphones et l’ordinateur ont été confisqués, a été interrogé sur le contenu de ses conversations avec les rédactions avec lesquelles il collabore, dont Jeune Afrique”, a expliqué la direction du média panafricain. Dimanche, aucune décision n’avait été prise quant à une inculpation à l’issue de cette audition tardive. Le journaliste avait, de nouveau, passé la nuit en détention. Des bribes d’informations nous sont finalement parvenues lundi après-midi. Le journaliste Patient Ligodi qui a rencontré son confrère Stanis Bujakera Tshiamala dans l’avant-midi assure que l’homme à l’“information certifiée” garde le moral haut.
– Stanis inculpé pour rien –
L’article incriminé n’a pourtant pas été signé par Stanis Bujakera Tshiamala. “Ces accusations concernent un article publié sur le site de Jeune Afrique, le 31 août, et qui ne porte pas sa signature, mais celle de Jeune Afrique. Il est dès lors inquiétant que notre correspondant soit interrogé sur un contenu qu’il n’a pas signé et pour lequel il ne peut être tenu responsable”, a protesté Jeune Afrique.
Les autorités judiciaires congolaises contestent l’authenticité du rapport attribué à l’Agence nationale de renseignements (ANR), repris dans l’article incriminé. Elles ont fait parvenir, le 9 septembre, quelques heures après l’arrestation de Stanis, un courrier dénonçant « les fausses informations publiées sur base d’un rapport attribué indûment à l’ANR, prétendant retracer les circonstances de la mort de l’ex-député Chérubin Okende. Les officiels congolais affirment que Jeune Afrique a exploité une « fausse note attribuée à l’ANR ». Le même courrier dit regretter « que des médias jugés crédibles professionnellement se soient laissés dévoyer au point de relayer un document au contenu fallacieux ». En réaction, Jeune Afrique a réitéré sa pleine confiance à l’ensemble de ses journalistes, qui ont “à cœur de proposer une information juste et vérifiée, et qui travaillent avec sérieux et professionnalisme”.
– Réactions planétaires –
Alors que Jeune Afrique et Actualites.cd continuent de demander la libération immédiate de Stanis Bujakera Tshiamala, plusieurs personnalités politiques congolaises, organisations de la société civile et des représentations diplomatiques – dont celles des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, de la Belgique, de la Suisse et de l’Union européenne – ont fait part de leur inquiétude concernant la situation du journaliste. “Nous osons croire à l’attachement des autorités congolaises au libre exercice du journalisme en RDC”, a rappelé Jeune Afrique.
L’ONG Human rights watch en RDC, tout comme Reporters sans frontières, ont, elles aussi, condamné « cette énième atteinte à la liberté de la presse en RDC » et demandé que Stanis Bujakera Tshiamala soit libéré immédiatement. Dans un message de condamnation, le Plaidoyer pour la Protection des Journalistes (PPJ) s’est indigné de la détérioration des relations entre le gouvernement congolais et les journalistes indépendants et ceux étiquetés proches de l’opposition. “Il est de notoriété publique que le journaliste interpellé est un modèle de professionnalisme incontestable qui a toujours exercé dans le respect de l’ordre déontologique requis”, indique le message. Et d’ajouter que “le gouvernement de la République devrait privilégier une approche beaucoup moins contraignante dans ses appréhensions du métier de journaliste”. Dans toutes les démocraties du monde, la presse a toujours été considérée comme le quatrième pouvoir, malheureusement jalousée par les autres pouvoirs en présence. L’exécutif, le législatif et le judiciaire devraient admettre que le métier de journaliste est un domaine essentiel à l’équilibre de la démocratie en tant que système de gestion de la société. Tenter continuellement de menacer l’indépendance de la presse est un indicateur qui fragilise le processus d’édification de la démocratie. C’est ainsi que PPJ exige la libération du journaliste Stanis Bujakera et la saisine du tribunal des pairs de l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC) pour tout différend devant relever de l’exercice de la profession.
– Muyaya saisi par les organisations professionnelles –
Le ministre de la Communication et médias, saisi par les organisations professionnelles de la presse sur le cas Bujakera, a promis de faire le suivi. Toutefois, il est resté sur le principe de la séparation des pouvoirs. Les professionnels de médias ont fondé leur espoir de voir le gouvernement s’impliquer pour que Bujakera soit libéré et s’il devait comparaître, qu’il le fasse en homme libre parce que sa fuite n’était pas à craindre. “Notre principal demande ici, c’est d’abord que Stanis Bujakera puisse comparaître en homme libre et donc s’il y a des charges qui pèsent encore contre lui, il peut se défendre en homme libre. C’est la principale demande que nous avons faite aujourd’hui lors de cette audience. Et donc la corporation est mobilisée par rapport au cas malheureux qui est arrivé à notre confrère Stanis Bujakera Tshiamala. Ainsi, nous sommes venus dire au ministre de la Communication et médias notre peine de voir un de nos confrères privés de sa liberté pendant plus de 72 heures. Nous sommes venus dire au ministre que cette situation nous afflige énormément et qu’il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour que notre confrère Stanis Bujakera Tshiamala puisse recouvrer sa liberté d’aller et de venir”, a dit le rapporteur de la réunion, Israël Mutala, devant la presse à l’issue des échanges.
À haute voix, les organisations professionnelles ont réaffirmé la nécessité de faire respecter les lois de la République par les services étatiques. Nous avons réaffirmé devant le ministre que la liberté de la presse est un droit constitutionnel et que ce droit doit être préservé. Nous avons demandé que les lois de la République soient respectées par tous les services de la République, nous en tant que professionnels de médias, nous en tant qu’organisations professionnelles des journalistes, nous tenons absolument à ce que ce principe constitutionnel de la liberté de la presse, le droit d’informer soit à tout prix préservé, a rappelé Israël Mutala.
En mars, Stanis Bujakera Tshiamala avait déjà été menacé de poursuites par le ministère de la Défense pour avoir relayé un paragraphe du compte rendu du Conseil des ministres publié par le gouvernement. La plainte avait finalement été retirée.