L’enquête sur l’assassinat du député national Chérubin Okende risque d’aller dans tous les sens si la justice ne se ressaisit pas à temps. L’on assiste depuis peu à des élucubrations qui surabondent les médias et réseaux sociaux sans indiquer les véritables indices devant mener vers les vrais coupables. Cette bouillabaisse affecte le métier de journaliste et écorne la démocratie.
Le journaliste Peter Tiani, la cible du pouvoir @Photo Droits tiers.
Les communicateurs pro-pouvoir ont choisi de traîner dans la boue certains journalistes afin de les faire taire. S’agirait-il d’une stratégie visant à influencer l’opinion et créer le doute autour des véritables auteurs du crime ou tout simplement d’une tactique politique maladroite consistant à jeter en pâture certaines figures bien connues de la presse congolaise. Les journalistes Peter Tiani, Elysée Odia, Stany Bujakera et Steve Wembi sont dans le viseur. Toute une armée numérique du pouvoir se déchaîne et n’entend nullement lâcher d’une semelle les quatre professionnels des médias pour avoir été les premiers à alerter l’opinion sur la disparition de Chérubin Okende. Mardi, l’un d’eux a même été convoqué par la police de Kinshasa pour renseignement.
L’inviteur de Peter Tiani absent de son poste
L’avocat du journaliste Peter Tiani avait bel et bien répondu à l’invitation adressée à son client le même mardi 18 juillet 2023. Arrivé au commissariat provincial de la police, ville de Kinshasa, Me Cris Emango n’a pas trouvé le général Eddy Mukuna qui était à l’initiative de l’invitation lancée à son client, Peter Tiani. “Nous avons tenté de le rechercher mais il nous a laissé une fin de non-recevoir”, a expliqué l’avocat au sortir du commissariat. Finalement, il n’y a pas eu de suite au dossier, ce qui préoccupe le conseil du journaliste : “vous pouvez même comprendre qu’autour de cette invitation-là, il y avait beaucoup de zones d’ombre qu’il fallait clarifier d’autant plus qu’il n’y avait ni numéro du dossier sur l’invitation, ni qualité de l’invité. A-t-il été invité en tant que journaliste qui aurait commis une autre infraction, nous ne savons pas”, explicitera-t-il. L’invitation n’a même pas été déposée à l’adresse du journaliste, tout semble avoir été précipité. “Nous apprenons déjà qu’il s’agirait du dossier concernant l’assassinat du regretté Chérubin Okende. Mais si tel est le cas, nous demandons quand même que la procédure ne soit toujours pas orientée de façon si cavalière dans la mesure où l’adresse de Peter Tiani est bien connue et s’il faut poser des actes, nous ne savons pas est-ce c’est le procureur général près la Cour de cassation qui intervient sur le dossier alors qu’au même moment, c’est la police qui pose des actes”, s’est même interrogé l’avocat de Peter Tiani sur la façon dont cette enquête est orientée. “Nous souhaitons à ce qu’on puisse clarifier d’abord ces différentes questions. Notre client va se présenter dès que l’invitation lui sera adressée. D’ailleurs, on sait qu’il a été parmi les premières personnes à avoir communiqué là-dessus. Il faisait son travail de journaliste, cela est autorisé par la loi. Mais que l’on respecte aussi les lois du pays, que l’on respecte la procédure telle qu’elle devrait être conduite”, a souligné l’avocat. D’après lui, Peter Tiani n’est pas inquiet : “Nous demandons simplement que l’orthodoxie judiciaire soit respectée dans ce sens qu’un dossier doit être renseigné, comporter un numéro et que lorsqu’il faut lancer une invitation, ce n’est pas au jour même qu’on lance l’invitation qu’il faut absolument que le concerné se présente”, a-t-il ajouté.
Au regard de tous ces éléments, la partie Peter Tiani pense que les choses sont un peu “louches” et qu’il faille régulariser la procédure, refaire la démarche. Encore que pour une invitation lancée pour 10h00, l’avocat s’est présenté en bon citoyen, quelques heures seulement après.
Gros mensonge attribué aux journalistes
Réagissant à ces accusations infondées ciblant les quatre journalistes, Achille Kadima, directeur général du tri-hebdomadaire Africa News a estimé que tout devrait concourir à la manifestation de la vérité à propos de ce mensonge véhiculé via les médias sociaux par des personnes bien identifiées tendant à faire croire au public que certains journalistes ont modifié leurs tweets d’alerte sur l’enlèvement du député national Chérubin Okende. “Il y a moyen de bien faire les choses et ne pas donner l’impression de vouloir brouiller les pistes de l’enquête”, a répondu l’expert en com. La police congolaise dispose elle aussi d’un compte Twitter, rappelle-t-il. “C’est donc facile pour elle de suivre les confrères gratuitement incriminés et retracer leurs différents postes du 12 juillet 2023”, a clarifié Achille Kadima qui voudrait bien rappeler à la police que les utilisateurs admis au badge bleu disposent seulement de 60 minutes pour pouvoir modifier un post. “Je ne vois pas comment on peut modifier à 17 heures, 19 heures, 20 heures voire 22 heures un tweet posté à 14h00 ou à 15h00, c’est impossible. Y croire, c’est jouer le jeu des manipulateurs”, a conclu le journaliste.
Influencer l’opinion et créer un doute sur les suspects
L’opposant Alain Bolodjwa s’est également intéressé à cette épopée qui veut coller à la notoriété des journalistes et de leurs médias. Les indices ont-ils commencé à être identifiés. Parce que d’après les juristes, l’instruction est secrète. Et en tant que telle, comment justifier alors la disponibilité des informations de l’instruction au niveau des réseaux sociaux, au niveau des communicateurs du pouvoir, s’interroge Alain Bolodjwa. “On vous dit par exemple qu’il y a une vidéo qui démontre que le chauffeur de Chérubin Okende était bel et bien à la Cour constitutionnelle. Mais comment pouvez-vous être en possession de cette vidéo parce que c’est une pièce nécessaire de l’enquête. Soit la Cour constitutionnelle ou les animateurs de la Cour mettent à la disposition des communicateurs du pouvoir des informations pour chercher à se dédouaner”, a-t-il reproché. Or la Cour constitutionnelle, selon lui, n’est pas liée aux partis politiques, “c’est là où je trouve qu’il y a beaucoup de maladresses”, a-t-il condamné. Ce qui veut dire que le caractère confidentiel de l’instruction n’a pas été respecté. À ce niveau du dossier, ceux qui ont la possibilité d’avoir des informations, ce sont soit les services chargés de l’enquête, soit les cours et tribunaux. “Maintenant, posons-nous la question de savoir pourquoi doit-on divulguer des informations secrètes aux communicateurs?”, a-t-il encore interpellé. Et de répondre : “C’est pour influencer l’opinion et créer un doute sur leur responsabilité”. Bolodjwa va plus loin dans son analyse. “Si vous êtes innocent, si vous n’êtes pas impliqué, pourquoi êtes-vous agité ?”.
Il y a de l’agitation d’un côté
“J’ai vu mon jeune frère Pinda, il vous dit qu’il y aurait des tweets émis vers 14h00 annonçant l’enlèvement de Chérubin Okende. Ce qui est surprenant est que personne n’a le courage de lui poser la question de savoir s’il peut en avoir. Parce qu’il faut commencer par là. S’il y avait des tweets à partir de 14h00, les personnes émettrices des tweets les ont-ils supprimés ? Sinon, les ont-ils modifiés ?”, a fait observer Alain Bolodjwa. Est-il techniquement possible de modifier un tweet émis vers 14h00 à partir de minuit ou 5h00?, a encore analysé Bolodjwa. Si non, “ce qu’il avait dit prouve de l’agitation”. Comment pouvez-vous induire toute l’opinion publique en erreur sur base d’un faux ? Qui l’a envoyé ? Quelle est la vraie intention ? “J’ai fait des recherches, je me suis rendu compte qu’il était difficile de modifier des tweets après une heure pour les détenteurs de badges bleus. Une nouvelle option qui a été ajoutée donne la possibilité de trente minutes à une heure au maximum”, explique l’opposant qui se dit très présent sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a confirmé la main sur le cœur avoir réceptionné le tweet de Peter Tiani en milieu de la nuit : “Monsieur Peter Tiani m’a envoyé son tweet que j’ai vu vers minuit”, a-t-il certifié. Une manière pour lui de dénoncer cette campagne hostile visant les journalistes qui dérangent le régime.