C’est une pratique qui tend à se généraliser dans la mégalopole kinoise. Les “orphelinats” sont la dernière trouvaille de jeunes et moins jeunes en quête de la survie dans une ville d’environ douze millions d’habitants assommés par un chômage chronique. L’invitation à faire montre de générosité envers de pauvres enfants orphelins ou en rupture familiale est lancée aux coins des rues les plus passantes ou à proximité des “wenze”, ces marchés de fortune disséminés à travers les 24 municipalités.
Vue d’un orphelinat à Kinshasa @Photo Droits tiers.
La première technique consiste pour le prétendu gestionnaire d’un “orphelinat” à se placer une enceinte acoustique puissante à un coin de rue. À ses pieds, un sceau pour recevoir les contributions des passants crédules. À l’aide d’un micro sans fil, il déroule son boniment des heures durant, appelant à aider “ces pauvres enfants”, créatures de Dieu. “Donnez, donnez, Dieu vous le rendra !”, crie l’un d’eux qui a choisi son coin sous le pont Matete. L’homme, bien vêtu, est bien dans la trentaine. Surtout, il ne donne pas l’adresse de son établissement certainement imaginaire.
D’autres ont carrément choisi l’itinérance. Telle cette dame qui sillonne les rues de Lemba accompagnée d’une dizaine de jeunes enfants dont l’âge varie entre 5 et 15. L’un des garçons porte sur son épaule l’enceinte ; un autre tient à bout de bras un carton sur lequel est inscrite l’adresse de l’orphelinat situé, peut-on y lire, dans la commune de Kisenso. Le discours est le même ; les pauvres enfants manquent de nourriture, de vêtements. Il faut les faire soigner, voire même, payer leurs frais de scolarité. Quelquefois, la petite procession n’hésite pas à s’adresser aux commerçants qui, pour faire bonne figure, jettent dans le panier une petite obole.
Les plus audacieux de ces démarcheurs d’un genre particulier prêchent la bonne parole de la générosité dans les transports en commun. L’un d’eux, rencontré plusieurs fois dans un bus de la ligne Kingasani Ya Suka—Marché central exhibe des photographies de jeunes enfants prétendument prises dans son “orphelinat”. Dans un discours bien rodé à force d’être répété, il touche les cœurs des plus sensibles des passagers, qui se délestent de quelques billets. Souvent, après la quête, l’homme descend en cours de route, sa journée remplie.
En République démocratique du Congo, la loi interdit la mendicité sur la voie publique. Mais elle n’est quasiment jamais appliquée. Des tentatives timides ont bien été entreprises par l’hôtel de ville, interdisant la pratique sur les grandes artères, dont le boulevard du 30 Juin. Mais il n’est pas rare de voir encore et toujours des grappes d’aveugles et autres estropiés slalomer, au péril de leur vie, entre des files de voitures arrêtées à un feu rouge.
La création des orphelinats est certes une ancienne pratique. Elle a toujours été le fait d’organisations caritatives supportées par des confessions religieuses traditionnelles. Dans toutes les 6 provinces du Congo post-indépendance, les Églises catholique et protestante ont implanté orphelinats et homes des vieillards. Elles pouvaient compter sur l’apport des organisations philanthropiques en Europe (Allemagne, France et Norvège) et aux États-Unis. Ces établissements jouissaient d’une autonomie financière et d’une indépendance matérielle, sans une assistance des pouvoirs publics.
L’exode rural et l’extension anarchique des grands centres urbains ont fini par désarticuler la protection sociale. Il n’est donc pas étonnant que des esprits mal inspirés sautent sur l’occasion et rançonnent leurs concitoyens au nom d’œuvres caritatives sans lendemain.