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Jean-Chrétien Ekambo : “la machine de propagande rwandaise scrute les propos des médias congolais”

Jean-Chrétien Ekambo Duasenge ouvre une discussion scientifique de taille. La pratique journalistique dans un foisonnement multimédia tiraillé d’une part par l’envolée des nouvelles technologies, et d’autre part, par les contraintes pénales liées aux infractions de presse en période de guerre. Le magistère a choisi de publier un livre blanc qui interpelle les pouvoirs publics dans leur responsabilité de protéger à la fois le journaliste, la vie privée et le secret défense du pays vis-à-vis des systèmes médiatiques contemporains qui ont tendance à privilégier l’international au local. Un débat doctrinaire qui mérite d’être suivi de forums d’enrichissement scientifique afin d’accompagner utilement la loi générale sur l’exercice de la profession journalistique en République démocratique du Congo actuellement en discussion au Parlement. Ci-dessous, l’interview exclusive accordée à Ouragan.cd par le professeur émérite, Jean-Chrétien Ekambo Duasenge.

Par Jeanric Umande

Le professeur émérite Jean-Chretien Ekambo @Photo Droits tiers.

publié le 7 novembre 2022 à 21:43:19

Ouragan. Jean-Chrétien Ekambo Duasenge, vous êtes professeur émérite de l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC). Vous publiez bientôt un Livre blanc sur les indicateurs des atteintes des journalistes à l’ordre public, qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour aborder ce thème ?

Jean-Chrétien Ekambo Ekambo Duasenge : Après 26 ans de magistère et au moment précis où s’annonce la révision de la loi générale sur l’exercice de la profession journalistique, les conditions d’une véritable relance semblent ne pas être réunies. Les professionnels des médias espèrent qu’une dépénalisation y soit introduite, même à minima. Mais les acteurs politiques au gouvernement et au Parlement ne sont pas du tout prêts à consentir cette faveur à un corps social qui ne la mérite pas, à leurs yeux. Le cercle devient alors vicieux. Sans les journalistes, par exemple, qui d’autres dans l’opinion pourraient commenter le généreux cadeau des 500 jeeps offertes aux députés ? Et sans ces députés et leur Parlement, qui pourrait voter une loi renforçant la liberté de la parole que réclament à cor et à cri ces journalistes passant pour des justiciers autoproclamés ? En fait, ce n’est pas du tout le pénaliste congolais qui pourrait trancher cette querelle. L’on peut arrêter chaque jour un journaliste quelque part dans notre pays, cela ne correspondra à aucune pédagogie. Le pénaliste est lui-même dépassé par la vitesse des technologies de l’information. Ce n’est pas à travers les médias que la fameuse « Mama Marie » arrive à invectiver les hautes personnalités du pays. Les réseaux sociaux échappent à tout le monde, partout. Pour nous tous, l’heure a donc sonné pour une réflexion plus profonde. Alors, en attendant dans les prochains mois le congrès de l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC), il s’avère utile de lancer un débat doctrinaire entre les différents acteurs de la société. Ce débat doit aboutir à assurer, d’une part, la sécurité des journalistes et d’autre part, la protection de la vie privée et de l’ordre public. L’initiative du Livre blanc est ainsi celle d’une discussion ouverte, de nature à promouvoir toute la société. Car, l’histoire a montré et démontré que c’est grâce à l’évolution de l’opinion publique que les Européens ont triomphé de l’absolutisme monarchique et que les Africains se sont convaincus de l’utilité des indépendances nationales. Repousser un tel débat visant l’entendement commun équivaut à retarder inutilement l’avancée de notre pays.

Quand vous parlez d’atteinte à l’ordre public, est-ce une manière de dire que les dérives de la presse sont devenues un vrai danger pour la société ?

Jean-Chrétien Ekambo Duasenge (JCED): Le récent rapport de l’association « Journaliste en danger » a laissé voir que les dérapages de la presse nationale ne sont pas plus nombreux aujourd’hui qu’hier. Ce qui a changé, en revanche, c’est l’écart qui s’élargit davantage dans la compréhension du préjudice qu’affirment subir les acteurs sociaux à travers les propos de la presse. Le débat sur les 21.000 dollars d’émoluments d’un député est l’exemple modèle de ce qui devrait être le processus normal devant conduire à la détermination d’un préjudice. Une commission a été mise en place à l’Assemblée nationale, les témoins ont été invités et les documents seront exhibés. L’on n’ose nullement imaginer si, à la place du dénonciateur Martin Fayulu, c’était un journaliste et si, comme témoin principal, ce ne fut pas le député Delly Sesanga. On le voit, le préjudice semble ainsi changer de nature ou de flagrance selon qu’il a été provoqué par ceux qui sont couverts par l’honorabilité ou par des journalistes. Comme on peut s’en rendre compte, le vrai problème ne serait pas la gravité du préjudice mais plutôt l’identité professionnelle du dénonciateur. S’il en est ainsi, il convient de pousser plus loin le raisonnement et s’interroger sur la nature réelle des dommages subis par les individus à partir de ce qui est désigné comme dérives de la presse. Il faut redéfinir et déterminer tout à fait la matérialité de ce que l’on appelle : honorabilité, dignité, estime, considération, réputation. Le livre blanc se promet de mettre sur la place publique l’hétérogénéité des entendements et de sens de toutes ces notions. Lorsque l’artiste-musicien Koffi Olomide qualifie dans une chanson le détourneur de l’argent public de « moyibi » la société reconnait la bravoure de son esprit de créativité. Il n’en sera pourtant jamais autant du journaliste, même s’il aligne des fac-similés de documents authentiques. Et, plus que les œuvres de créativité artistique, les réseaux sociaux sont venus renforcer le décalage que le pénaliste établit entre les profils des différents types de dénonciateur. Tout se passe comme si chacun est autorisé à dénoncer, sauf le journaliste.

Estimez-vous qu’avec les réseaux sociaux, les journalistes sont plus fautifs qu’avant ?

JCED : En fait, c’est toute la société qui doit s’impliquer dans la réflexion sur l’avancée des nouvelles technologies de l’information. Alors que le journaliste ne s’en tenait, jusqu’hier, qu’aux sources humaines pour obtenir les renseignements, aujourd’hui il est débordé par les technologies, au point que la vie privée se trouve exposée au grand jour, en partie à cause des individus eux-mêmes. Les lieux publics sont à présent étroitement quadrillés par les caméras de surveillance, les inscriptions diverses se font en ligne et avec des photos d’identité, les clients laissent dans les supermarchés leurs numéros de téléphone, ainsi de suite. Il existe ainsi une grande asymétrie entre les sources d’information techniques, que personne ne peut maîtriser totalement, et les sources d’information humaines, dont se sert le journaliste et sur lequel s’acharne le pénaliste. Puisque le monde évolue à ce rythme des technologies nouvelles, il devient urgent de réfléchir sur ce que la société veut réellement protéger. Se trouve hors d’atteinte de la rigueur de la loi celui qui, de son balcon sur le boulevard du 30 juin, filme à partir de son appareil androïd les policiers en train de détrousser les médecins dont ils veulent disperser le cortège de la marche syndicale. En même temps, cette même image peut devenir une infraction si elle est traduite en titre à la « une » d’un journal. Face à cette disproportion, les professionnels des médias usent aujourd’hui de la transcanalité, passant d’un support de diffusion à un autre. Tantôt l’on recourt aux tweets, tantôt aux images en off, tantôt aux faux directs. Les professionnels s’efforcent ainsi d’accompagner l’information, à défaut de la créer eux-mêmes, comme peuvent pourtant le faire sans coup férir les internautes anonymes. Autrement dit, le changement de paradigme du journalisme au Congo n’est pas seulement une affaire technique, entre professionnels. Doivent s’y trouver impliqués également bien d’autres catégories sociales, dont les pénalistes, les politiciens ou les opérateurs de la société civile. Et cette mise en commun est inévitable, tôt ou tard. Le livre blanc se propose donc de montrer que la différence d’entendement demeure un danger pour toute la société.

Professeur Ekambo, vous soutenez que les journalistes ne sont plus créateurs d’information mais accompagnateurs. Alors comment changer ce paradigme dans le contexte congolais ?

JCED : Ce qui est vrai pour les temps ordinaires l’est aussi pour les temps exceptionnels, notamment cette période de guerre. Les faits se déroulant sur le champ de bataille peuvent être relayés par de nombreuses personnes : militaires dotés de téléphone connecté, civils fuyant les zones de feu, humanitaires venus au secours, etc. Le problème aujourd’hui ne se pose plus en termes de « qui sait quoi ? ». L’enjeu est plutôt de préparer déjà en amont le sens à donner aux faits qui se sont réellement produits ou qui vont survenir. Ainsi par exemple, la justification du retrait des troupes régulières d’une localité ne devrait être contredite par personne. Cette explication est imparable : les compatriotes sont convaincus que la lutte de l’armée nationale ne consiste pas seulement à protéger l’intégralité du territoire mais aussi sa population. Dès lors, dans les faits, l’annonce d’un retrait tactique devrait être faite avant que l’ennemi ne le range sur le compte de ses succès offensifs. Cela étant, étant donné que les guerres modernes ne sont pas toujours déclarées selon les normes classiques, il devient complexe de décréter des mesures d’application d’un état d’exception. Le bons sens voudrait qu’un consensus soit recherché avec la presse pour définir les contours de ce que certains entendent, à tort, imposer comme règles de comportement patriotique. Exemple : la machine de propagande rwandaise scrute avec minutie les propos des acteurs congolais, tant de la politique que des médias, pour déceler la moindre allusion à ce qui pourrait ressembler à de la stigmatisation communautaire. Car, la ligne de conduite stratégique rwandaise est celle qui entend convaincre le monde entier que le M23 est une rébellion interne, constituée des Congolais, et que l’armée nationale s’obstine à mater une partie de son propre peuple. Comme on peut s’en rendre compte, l’accord entre les médias et les autorités publiques sur la manière d’éviter un tel piège ne se retrouve dans aucune disposition du code pénal ni dans un quelconque manuel de journalisme. L’on peut y parvenir à travers de nombreux procédés ne prenant pas allure de défi que lanceraient les plus patriotes contre les moins nationalistes. La guerre actuelle en Ukraine offre suffisamment de données pouvant inspirer l’élite congolaise à ce sujet.

Êtes-vous de ceux qui pensent que le journalisme congolais doit se réinventer ?

JCED : Il est bien vrai que les médias étrangers sont dotés de plus de moyens pour couvrir les faits se déroulant sur notre propre territoire. Cela ne doit cependant pas conduire à un certain complexe d’infériorité. Si RFI, par exemple, s’autorise à utiliser des panneaux géants dans la ville de Kinshasa pour annoncer ses émissions, c’est parce que cette radio est financée par les subsides de l’Etat français, qui a de l’intérêt à augmenter son auditoire congolais et à détourner ce dernier des médias congolais. L’on ne pourrait imaginer une certaine réciprocité de la part de la RTNC dans les rues de Paris. Nous savons que le Mali se comporte cependant autrement envers ces médias périphériques français. Dans ce contexte, c’est le gouvernement congolais qui devrait protéger sa propre presse en ne réservant aux médias étrangers que les éléments de langage qui servent réellement les intérêts congolais, sans plus. Toute guerre contemporaine est essentiellement médiatique. Mais, cette politique médiatique ne s’élabore pas en termes de censure, plutôt sur base de la valorisation de certaines données spécifiques. A ce point de vue, les points de presse réguliers initiés par le ministère de l’Information sont utiles pour offrir aux professionnels des médias des repères à leur exercice de comparativité. Cela étant, nous estimons que l’actuelle situation exceptionnelle de guerre est un élément qui s’ajoute à la nécessité de publication du Livre blanc. Car, c’est sur la base d’un entendement très correct des valeurs individuelles à sauvegarder et des intérêts nationaux à protéger que toute la société peut attendre de la presse sa part au développement du pays. Si le journaliste n’est pas un citoyen exceptionnel, il n’en demeure pas moins la vigie de tout un peuple. Il faut donc se persuader d’un entendement commun de ce qu’est une imputation dommageable, une injure, une diffamation, une calomnie. L’ordre public défini par le législateur colonial en 1959 n’est pas du tout le même soixante après. Et, forcément, le fouet de 1959 ne peut pas être de la même nature que la discipline de 2022.

Professeur, je vous remercie.

Propos recueillis par Jeanric Umande.

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