À Kinshasa, les réactions sont mitigées après la tournée du secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui s’est rendu successivement au Congo et au Rwanda. L’opposant congolais Adolphe Muzito a été Premier ministre du Congo de 2008 à 2012. Aujourd’hui, il préside le parti « Nouvel Élan ». De passage à Paris, il s’exprime sur la crise entre le Congo et le Rwanda, mais aussi sur sa stratégie avant la présidentielle de 2023.
RFI : Lors de sa visite à Kinshasa, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, s’est dit très préoccupé par les informations crédibles selon lesquelles le Rwanda soutiendrait les rebelles du M23. Est-ce que cela vous satisfait ?
Adolphe Muzito : Ça me laisse sur ma soif. J’aurais aimé qu’il se prononce, y compris en condamnant le Rwanda, en s’engageant à prendre des sanctions dans le cadre de son pays, mais aussi dans le cadre de la communauté internationale. Mais ça ne m’aurait toujours pas satisfait parce que, pour l’essentiel, ce que nous voulons, nous, et que nous n’attendons pas d’ailleurs des États-Unis, c’est que nous, le Congo, on se prépare pour faire la guerre, pour chasser les Rwandais de notre pays. Ce que nous demandons, c’est que le gouvernement de Monsieur Tshisekedi prépare la guerre. Et nous disons qu’il faut que nous puissions montrer nos muscles. Il faut véritablement armer le Congo, nos troupes, leur donner les moyens logistiques nécessaires pour que l’on puisse dissuader les prétentions du Rwanda en RDC. Le Congo doit faire peur au Rwanda, mais pour faire peur au Rwanda, j’insiste qu’il nous faut une armée.
Sur le plan intérieur, Adolphe Muzito, vous êtes l’allié politique de Martin Fayulu au sein de la plateforme Lamuka. Or, le 14 juillet, Martin Fayulu a été désigné candidat de son parti Ecidé à la présidentielle de décembre 2023. Le soutiendrez-vous ?
D’abord, je ne connais pas son programme. Donc, le moment venu, s’il se dégage une convergence autour de nos programmes respectifs, à Martin et à moi, à son parti et au mien, mais aussi avec d’autres forces politiques et sociales, c’est sur cette base là que les alliances politiques et électorales pourront avoir lieu.
Depuis un an, la plateforme Lamuka et le FCC de Joseph Kabila, qui étaient les pires adversaires de 2018, se sont rapprochés au sein d’un Bloc patriotique, anti-Tshisekedi. Êtes-vous d’accord avec cette stratégie ?
Mon parti et moi avons dit « non » à ce Bloc patriotique parce que nous considérons qu’on ne peut pas s’appuyer sur celui qui a fait le pêché pour combattre celui qui a profité du pêché. Donc, nous pensons que les FCC ne sont pas les alliés appropriés pour lutter contre la fraude électorale et pour la vérité des urnes, parce que ce sont eux qui sont à la base de cela. C’est cela, d’ailleurs, qui fait la divergence entre Ecidé et Nouvel Élan, entre Martin Fayulu et moi. Évidemment, c’est une divergence qui peut être dépassée, je l’espère, parce qu’il faut maintenir Lamuka comme force de résistance.
Êtes-vous toujours, comme Martin Fayulu, dans une opposition frontale au régime de Félix Tshisekedi ou êtes-vous plus mesuré, à présent, dans vos propos ?
Je suis toujours résistant dans Lamuka. Je suis toujours dur par rapport à Monsieur Tshisekedi et à l’Union sacrée de la Nation. En ce qui concerne le processus électoral, je doute de sa crédibilité et je ne suis pas certain qu’il le respectera, auquel cas, Lamuka va rebondir pour exiger des élections transparentes dans les délais constitutionnels.
L’arrestation, il y a quelques jours, du député Jean-Marc Kabund, l’ancien président du parti de Félix Tshisekedi, qui vient de passer dans l’opposition… Qu’en pensez-vous ?
Je trouve qu’au-delà du fond, qui est fondé ou pas, je voudrais constater le caractère arbitraire de l’arrestation. On aurait pu, par exemple, respecter son immunité parlementaire. On aurait pu, quand même, prendre le temps de l’interroger, quitte à ce qu’il reste à la maison. C’est quand même une grande personnalité de ce pays. C’est très très inquiétant pour la démocratie congolaise. La manière de procéder donne l’impression que l’on est plutôt dans une logique de règlement de compte.
Adolphe Muzito, serez-vous candidat en 2023 ?
Je serai candidat en 2023. Dans moins de six mois déjà, je présenterai ma candidature au congrès de mon parti.
Mais pourquoi envisagez-vous de participer à une élection dont vous doutez de la transparence ?
Je ne suis pas de ceux qui préconisent le boycott des élections. Le peuple fera pression pour que ces élections soient transparentes.
Vous avez été Premier ministre de Joseph Kabila de 2008 à 2012. Si vous êtes candidat, ne risquez-vous pas d’être devancé par des candidats, comme Martin Fayulu, qui n’ont aucun bilan éventuellement négatif au pouvoir et qui ont une vraie virginité politique ?
La virginité politique est un atout, mais c’est en même temps une faiblesse. C’est que l’on n’a jamais mis la main à la pâte. J’ai l’avantage d’avoir un bilan, mais surtout, l’avantage d’avoir commis aussi des erreurs dans ma gestion. Parce que, dit-on, l’expérience est la somme des erreurs, donc c’est un atout. Cela me permet de savoir quelles sont les limites de l’État, quelles seront les limites de mon gouvernement dans les promesses qu’il faut faire au peuple.
Et si vous êtes élu, quelle sera votre priorité économique ou financière ?
D’abord, la priorité, c’est la souveraineté de l’État. Il faut un État souverain. Pour cela, il faut des ressources pour financer sa fonction régalienne. Donc, il faut doubler le PIB. Mais comment doubler le PIB ? Avec quel modèle économique ? Nous allons mettre l’accent sur les ressources naturelles qui font l’objet du bradage, hier comme aujourd’hui. J’en prends ma part de responsabilité en tant que dirigeant. Deuxièmement, nous pensons à une politique de grands travaux qui passe par la construction de routes. D’où viendront les moyens pour financer ces infrastructures ? Il faut trouver une solution pour les entreprises publiques, qui aujourd’hui sont un boulet au pied de l’économie congolaise. Je suis pour la privatisation de celles-ci et je veux que ce soit l’un des thèmes qu’il faut imposer au débat public dans notre pays.
Interview tirée de RFI