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Arnaud Froger : “ll va falloir empêcher l’ANR de prendre la place du régulateur des médias”

Responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF), Arnaud Froger plaide dans une interview à Ouragan.cd pour le renforcement de l’indépendance des médias congolais y compris la radiotélévision publique qui reste, à ses yeux, inféodée aux autorités.

Par Jeanric Umande

Arnaud Froger, vous êtes responsable du bureau Afrique de RSF @Photo Droits tiers.

publié le 6 mai 2022 à 13:01:29

Dans le classement mondial de la liberté de la presse publié le 03 mai 2022 par RSF, le Congo-Kinshasa a grappillé 24 points. De la 149è place, la RDC pointe désormais à la 125è. Une bonne marge de progression. Mais, l’ancien journaliste de France 24 insiste pour qu’on décrète rapidement le moratoire afin de stopper la spirale des arrestations arbitraires de journalistes. Il plaide aussi pour la mise en place d’un mécanisme dédié à la sécurité des journalistes. A haute voix, Arnaud Froger rappelle que l’ANR ne doit pas prendre la place du régulateur des médias et de faire la loi sur ce que les journalistes peuvent ou ne pas faire. “Ce n’est pas à un service de renseignements de traiter de la liberté de l’information, cette matière revient à un organe de régulation. Donc, l’ANR doit se concentrer sur les objectifs de sécurité. Et en aucun cas, elle ne doit s’immiscer dans le champ de la régulation de l’espace de l’information”, a-t-il tranché.

Arnaud Froger, vous êtes responsable du bureau Afrique de RSF. 149e en 2021, la RDC pointe désormais à 125e en 2022 dans le classement que RSF a publié en marge de la Journée internationale de la liberté de la presse. Qu’est-ce qui explique cette embellie ?

Il y a principalement deux facteurs qui expliquent cette embellie. Il y a d’abord un facteur méthodologique, il faut savoir que Reporters sans Frontières a utilisé une nouvelle méthodologie pour établir ce classement édition 2022. Nouvelle méthodologie qui donne un peu moins d’importance, moins de place aux exactions qui sont commises contre les journalistes qui sont maintenant situées sur le même plan que d’autres atteintes au libre exercice du journalisme comme les atteintes politiques, les atteintes liées au contexte légal, au contexte économique ou au contexte sociétal. Dans un pays comme la RDC où il y a beaucoup d’exactions qui sont commises contre les journalistes, ce critère étant placé maintenant sur le même plan que d’autres atteintes, mécaniquement le pays peut progresser. D’une manière générale, ce classement montre de très grands mouvements à la hausse ou à la baisse concernant certains pays. Donc, il faut relativiser ces dynamiques haussière ou baissière qui sont pour une bonne partie liées à l’utilisation d’une nouvelle méthodologie. Le 2ème facteur, c’est un facteur de fond qui explique la hausse de la RDC. Ce que même si les exactions se situent et se maintiennent à un niveau assez alarmant, il y a une dynamique politique très favorable à la mise en place des nouvelles réformes qui devraient permettre pour peu qu’elle soient mises en place, d’améliorer concrètement l’exercice du journalisme. Je fais évidemment allusion aux états généraux de la presse qui se sont tenus en début d’année et au terme desquels 80 recommandations ont été formulées. Les plus hautes autorités de l’Etat, le président lui-même et le ministre de la Communication se sont engagés à les mettre en place, reste effectivement que ce changement soit bien mis en place pour que ce vœu se concrétise de manière pérenne et durable sur la situation et l’environnement dans lequel évolue le journaliste congolais, un environnement relativement précaire où la sécurité des journalistes n’est pour l’instant absolument pas garantie et c’est ça qu’il faut souligner.

24 places gagnées, c’est beaucoup mais pourquoi vous dites encore que cette évolution est à relativiser ?

La méthode a changé, donc ce sont les fortes baisses liées à ce changement de méthode dans le classement. Ça, c’est sur des raisons de forme et sur le fond, elle était aussi à relativiser parce que même si les discours des plus hautes autorités et les projets de réforme qui sont engagés sont tout à fait prometteurs, reste que ces réformes n’ont pour l’instant pas été prises effectivement et effectuées. Donc pour que la situation des journalistes change vraiment, il va falloir renforcer l’indépendance des médias congolais y compris la radiotélévision publique qui reste vraiment pour l’instant inféodée aux autorités. Il va falloir décréter ce fameux moratoire sur les arrestations des journalistes, mettre en place un mécanisme dédié à la sécurité des journalistes, empêcher l’ANR de prendre la place du régulateur des médias et de faire la loi sur ce que les journalistes peuvent et ne peuvent pas faire. Ce n’est pas à un service de renseignements de traiter de la liberté de l’information, la matière revient à un organe de régulation. Donc, l’ANR doit se concentrer sur les objectifs de sécurité et en aucun cas, elle ne doit s’immiscer dans le champ de la régulation de l’espace de l’information. Il y a tout un tas de chantiers comme ça qui sont extrêmement importants et qui doivent être mis en place. Il y a beaucoup d’attentes de la part des acteurs du secteur et il revient maintenant aux acteurs politiques de passer de la parole à l’acte.

Quelles sont, à vos yeux, les reformes d’envergure qui peuvent changer la situation actuelle, s’il faut tenir compte de 75 atteintes à la liberté de la presse documentées par JED les 6 derniers mois ?

Il faut plusieurs réformes d’envergure. Le fait que le discours ait changé, c’est déjà beaucoup par rapport aux années Kabila, c’est un vrai point positif. Maintenant, il faut encore que cette volonté nouvelle, qui a été exprimée au plus haut niveau de l’Etat à plusieurs reprises et encore dernièrement lors des états généraux de la presse, soit concrétisée par des actes de réformes concrètes qui peuvent prendre plusieurs formes. Il faut d’abord mettre fin aux arrestations arbitraires de journalistes pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Ça c’est une priorité absolue, il y a beaucoup trop de journalistes qui continuent à se faire arrêter pour des motifs complètement politiques ou pour les réduire au silence et ça c’est inacceptable. Je pense, les cas qu’on suit en ce moment, ces 3 journalistes correspondants de la radio Mwana mboka à Bumba dans la province de Mongala qui étaient l’objet d’une arrestation arbitraire depuis une dizaine de jours et qui ont été arrêtés pour des propos qu’ils n’ont même pas tenus puisque les propos incriminés, ont été tenus par un de leurs invités. Le procureur a annoncé que la liberté provisoire sous caution se faira moyennant le versement d’une caution de 175$. C’est évidemment inacceptable, il faut arrêter avec ce système prédateur. On ne séquestre pas, on ne détient pas arbitrairement les journalistes en échange d’argent et ensuite pour conditionner leur remise en liberté alors même qu’ils n’ont absolument rien à se reprocher puisque les faits qui sont incriminés, ne relèvent pas directement de leur responsabilité. Ce n’est qu’un dernier exemple d’une multitude de journalistes qui se font arrêter comme ça dans ces conditions parfois par des services de sécurité classiques parfois par l’Agence nationale de renseignements. Notre organisation partenaire en RDC -Journaliste en danger relevait très récemment que depuis 6 mois, 75 atteintes à la liberté de la presse ont été commises en RDC. Selon leur monitoring, il y a eu 19 arrestations arbitraires des journalistes. Il faut mettre fin à ça et l’un des moyens d’y mettre fin, c’est par exemple de décréter un moratoire sur des arrestations de journalistes pour les faits commis dans l’exercice de leur fonction en attendant une révision plus générale et plus globale du cadre légal.

En quoi le décret d’un moratoire sur les arrestations de journalistes pour des faits commis dans l’exercice de leur fonction va changer fondamentalement le système actuel ?

Le moratoire changera ce système. Il rendra illégal le fait de détenir complètement et arbitrairement pour des délits de presse, je dirai, communs qui peuvent mériter des poursuites comme la diffamation par exemple, ou l’outrage ou l’insulte mais qui ne méritent en aucun cas de se retrouver en prison. Il y a tout à fait la possibilité de mettre en place un système proportionné de sanctions comme ça existe dans d’autres pays. Ces sanctions peuvent comprendre des amendes civiles, des mesures de suspension… mais, qui en aucun cas, ne justifient qu’un journaliste se retrouve détenu pendant plusieurs jours, plusieurs semaines ou plusieurs mois. Donc, le moratoire a cet avantage d’être un outil simple et efficace juridiquement contraignant qui rendra illégale toute mesure privative de liberté pour des délits de presse en attendant encore une fois que cela devienne illégale par la loi, donc ça impliquera une réforme plus globale de la loi de 1976 qui régit l’exercice du journalisme en RDC et qui est à la fois répressive. C’est un texte qui est très ancien et va devenir évidemment obsolète. Aussi, il faudra que le Parlement s’y penche, si ce n’est lors de cette session au moins lors de la prochaine afin que cette loi soit révisée au plus vite et ça serait un acte majeur posé par les autorités au pouvoir en faveur de l’exercice du journalisme puisque ça fait désormais quasiment 30 ans que cette réforme est attendue.

Pensez-vous que la fin des peines privatives de liberté pour les délits de presse va responsabiliser davantage les journalistes dans leur rôle de gardien de la démocratie ?

Oui, il ne faut pas voir la fin des peines privatives de liberté pour les journalistes comme un laissez-passer ou le droit de mieux dire et faire n’importe quoi. Évidemment que si les autorités prennent cette mesure et mettent en place les outils appropriés à travers encore une fois le moratoire et la révision de la loi de 1996, c’est aussi une invitation à la responsabilisation et à la responsabilité des médias et des journalistes eux-mêmes. Si les autorités mettent en place un cadre favorable, la responsabilité du journalisme de qualité va reposer aussi sur les journalistes eux-mêmes directement. Et les sanctions moins lourdes qui pourront être prises, n’en seront que d’autant plus justifiées, justifiables si elles sont prises dans un cadre qui est respectueux du droit des journalistes à informer avec des thèmes qui sont proportionnels aux faits qui sont commis. C’est un transfert de responsabilité. Les autorités peuvent se prévaloir d’un côté de mettre en place un cadre favorable et d’un autre, de rendre les sanctions si elles peuvent être prises plus légitimes parce que proportionnelles au faits qui sont incriminés. Donc, c’est une mesure qui me paraît tout à fait justiciable, justifiée et vertueuse pour ce qu’elle peut produire en moyen et long terme à la fois pour protéger les journalistes en RDC mais aussi pour les inviter à plus de responsabilité dans un traitement honnête, équilibré et qualitatif de l’information.

Vous ne craignez pas les dérives ou le libertinage ?

Mais les dérives éthiques et déontologiques en matière d’information existent déjà malgré ce cadre répressif. Ce qu’il faut, ce n’est pas encore une fois d’avoir un cadre qui permet de faire tout et n’importe quoi. Il y a des restrictions légitimes à la liberté d’expression et à la liberté de l’information mais il faut que ces restrictions s’opèrent dans un cadre encore une fois qui est respectueux de la liberté d’informer et qui est proportionel par rapport aux faits qui sont incriminés. Donc donner un cadre légal plus favorable, c’est aussi permettre au journaliste de mieux travailler mais c’est aussi rendre les snactions qui peuvent être prises contre eux plus légitimes et mieux acceptées par l’ensemble des acteurs. Encore une fois, c’est la promesse d’une régulation qui se veut plus efficace et plus juste et la RDC en a grandement besoin. Les journalistes ont trop longtemps souffert des mesures de représailles y compris des privations de liberté depuis des années, c’est l’un des pays malheureusement dans lequel RSF en Afrique enregistre les plus d’atteintes à la liberté de la presse y compris des arrestations et détentions arbitraires. Donc, il faut mettre fin à ce cycle là de répression qui n’a, de toute façon, pas du tout empêché certaines dérives éthiques et déontologiques.

Vous attendez quoi justement de la révision complète de la loi de 1996 sur l’exercice du journalisme en RDC ?

La loi de 1996 pose un certain nombre de problèmes. Le premier problème, c’est son obsolescence, sa non prise en compte de l’évolution énorme du champ de l’information et la communication qui a eu lieu depuis le milieu des années 90 notamment avec l’émergence de médias en ligne, d’internet et la prolifération de la désinformation. Et par ailleurs, c’est une loi qui prévoit des dispositions extrêmement répressives alors pas tout appliquées heureusement mais ça reste une épée dangereuse au-dessus de la tête des journalistes. Vous savez par exemple que les délits de presse comme la calomnie ou l’injure sont passibles des sanctions absolument disproportionnées qui comprennent à la fois les fortes amandes, des peines de prison et même la peine capitale pour des faits qui seraient constitutifs de trahison. Donc, il y a nécessité de réviser ces textes, de les mettre plus en conformité avec les réalités actuelles et avec des meilleures garanties pour l’exercice du journalisme. Cette loi qui contient également des sanctions et des délits qui sont mal définis avec des pouvoirs de restrictions administratives qui sont assez excessif également. Donc il y a nécessité de la mettre en conformité avec les meilleurs standards internationaux et de mieux protéger aussi les sources et les secrets de sources qui ne sont pas assez protégés dans l’actuelle loi et ce que l’on attend est que ça permette aux journalistes évidemment d’être mieux protégés pour pouvoir mieux exercer leur rôle de quatrième pouvoir, de faciliter les enquêtes de favoriser la transparence, de lutter aussi plus efficacement contre la corruption et favoriser l’émergence d’un journalisme de qualité. Tout ça doit aussi permettre de restaurer un lien de confiance qui peut se créer entre les médias et une partie de la population congolaise. Plus, les journalistes qui amènent ou effectuent un travail de qualité dans des bonnes conditions, plus ils produiront un travail de qualité, plus ils gagneront la confiance des populations et permettront d’adopter contre la corruption une meilleure gouvernance. Et le dernier point, c’est un cadre légal plus protecteur et plus moderne permettra encore une fois aux autorités bien de rendre les sanctions qui seront prises plus légitimes, parce qu’elles seront prises dans un cadre conforme aux meilleurs standards en matière de liberté d’expression et de droit à l’information. Donc, c’est à la fois mieux protégé et se rendre plus légitimes les sanctions qui seront prises en cas d’éventuelles dérives et d’éventuels abus.

Vous défendez la mise en place d’un mécanisme dédié à la sécurité des journalistes. Concrètement c’est quoi ce mécanisme ? Et puis le journaliste est-il devenu un citoyen à part qui doit bénéficier d’une sécurité spéciale dans la société ? Ce protectionnisme ne va pas produire un effet contraire par rapport à l’objectif recherché ?

La mise en place de ce mécanisme de protection et de sécurité des journalistes vise deux objectifs. D’abord, c’est un mécanisme d’alerte qui sert à mettre un lien à travers un canal de communication unique qui réunit tous les acteurs du secteur, des associations représentatives de la presse jusqu’aux plus hautes autorités y compris le ministère de la Communication lui-même. Lorsqu’un cas d’exaction très sévère survient, eh bien qu’il puisse y avoir un échange, une remontée et un partage d’informations entre tous les acteurs. Et le deuxième objectif, c’est pour qu’il y ait un suivi coordonné encore une fois à travers ce canal de communication pour que les associations et tous les acteurs puissent s’assurer que les autorités ont bien fait tout ce qu’il fallait pour qu’on retrouve l’auteur de ces exactions. Et qu’il y ait réellement des poursuites judiciaires et que le coupable soit identifié, traduit en justice et puis jugé. Ainsi, ça vise à couper le cycle de l’impunité dans lequel on est trop longtemps resté et qui fait qu’actuellement lorsque vous agressez un journaliste ou vous le tuez, il y a toutes les chances que vous vous en sortiez et que vous soyez malheureusement jamais inquiété. C’est pour casser ce cycle là que ce mécanisme est nécessaire. C’est un mécanisme à la fois de communication qui réunit les acteurs et un mécanisme de suivi qui permet de faire en sorte que la bonne réponse notamment judiciaire lorsque les exactions les plus sévères sont commises.

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